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À La Une - Le point

Se hâter d’en rire...

– « Si le régime me prend pour un clown, que craint-il donc ? » (Bassem Youssef dans une interview qui devait être diffusée hier lundi sur la chaîne de télévision al-Arabiya.)
– « Ironiser sur le stetson du président et son anglais plus qu’approximatif ? Je n’ai fait que ça, huit années durant. » (Jon Stewart, parlant de George W. Bush.)
Gamal Abdel Nasser, dit-on, se faisait raconter les nokate (blagues populaires) qui circulaient sur lui, véritable baromètre, reconnaissait-il, de l’état d’esprit de l’homme de la rue. Il faut croire que son lointain successeur a sur l’humour des idées bien arrêtées : en laissant le parquet engager des poursuites contre l’ancien cardiologue recyclé dans l’ironie télévisée, il inquiète jusqu’aux plus inconditionnels de ses partisans. Il aurait été mieux avisé, pensent ceux-là, de l’inviter au palais d’Héliopolis pour un entretien débridé, ce qui aurait mis les rieurs de son côté.
Conséquence des pressions que pourrait avoir subies Raafat Mohammad Youssef – c’est le nom du comique – ou décision dictée par la sagesse en attendant que baisse la tension ? Toujours est-il qu’« el-Bernameg » (le programme) va marquer un temps d’arrêt, deux à trois semaines, annonce son créateur, « le temps de souffler, parce que, avec toute l’équipe, nous travaillons sans relâche depuis bientôt neuf mois ».
Depuis son irruption sur la scène médiatique, le trublion ne cesse de balancer des pavés dans la mare. Dans l’un de ses shows, il s’était gaussé de l’appétit insatiable du Qatar, « qui s’apprête à acheter l’Égypte », avait-il plaisanté, s’attirant les foudres de l’émirat. Le Premier ministre, Hicham Qandil, alors en visite à Doha, avait dû déployer des trésors de diplomatie pour calmer l’irritation de ses interlocuteurs et arracher la promesse d’une injonction de quelques milliards de dollars pour soutenir une économie égyptienne en état de mort clinique. Islamabad à son tour est entré en scène et une enquête est en cours pour déterminer si, comme il en est accusé, le comique a porté atteinte aux relations égypto-pakistanaises. Deux autres accusations sont pendantes, portant l’une sur des atteintes à l’islam, l’autre sur la propagation de l’athéisme. « Si j’étais accusé d’avoir volé les tours de Notre-Dame, je commencerais par m’enfuir », disait jadis un magistrat.
La Toile s’enflamme, confondant allégrement, comble de la loufoquerie, le nouveau champion du combat pour les libertés et un alter ego, agent du Federal Bureau of Investigation, aujourd’hui en charge de la division Arabie saoudite-Émirats-Oman-Bahreïn-Qatar. La vedette de l’heure, pour sa part, avance pour sa défense, faussement candide : « Si le régime me craint, c’est qu’il est faible. On n’a jamais vu un pouvoir s’effondrer sous les lazzis. » Et de révéler au passage qu’il avait songé un moment à recevoir Mohammad Morsi mais que « les circonstances ne s’y prêtaient pas ». Il est permis, sans faire montre d’effronterie, de regretter cette occasion ratée. Le président s’étant fait porter absent, pourquoi ne pas demander à Salah Abdel-Maksoud, ministre de l’Information et ennemi irréductible de « Bernameg », de rédiger le script du prochain show ? Youssef a fait le pas, c’est l’intéressé qui n’a pas voulu jouer le jeu de cette version inversée de l’arroseur arrosé. Encore une occasion manquée.
Il ne faut pas croire que l’actuel raïs est seul à subir les quolibets de l’impertinent médecin. Du temps où il préparait son émission quotidienne – suivie par, excusez du peu, quelque 30 millions de téléspectateurs – dans une pièce de son appartement cairote, les têtes de Turcs s’appelaient Hosni Moubarak, les généraux qui dix-huit mois durant avaient gouverné le pays avant la présidentielle, et encore les treize candidats à l’élection de mai-juin 2012. À juste raison, Bassem Youssef se défend d’être, lui le musulman, anti-islamique. Il révèle que Tareq Qazzaz, l’un des producteurs de son programme, très proche des Frères musulmans, n’intervient jamais pour modifier le script. À charge pour moi de ne pas me mêler de la mise en scène, avoue-t-il dans un clin d’œil malicieux.
Les dirigeants de la confrérie sont bien avisés de soutenir que, par le passé, les comédiens n’ont jamais été épargnés. Bassem Youssef, affirment-ils, a été convoqué pour interrogatoire et renvoyé chez lui contre versement d’une caution ; il passera ultérieurement devant un tribunal et il appartiendra à la justice de se prononcer sur son cas. De plus, des instructions ont été données par la présidence de la République pour que les journalistes ne soient plus inquiétés.
Oui mais, aurait-on choisi d’agiter le bâton pour ne pas s’en servir que l’on ne s’y serait pas pris autrement. Auquel cas l’image de Dame Justice, yeux bandés, poursuivant les contempteurs de l’Autorité serait du plus haut... comique. Si elle n’était inquiétante.
– « Si le régime me prend pour un clown, que craint-il donc ? » (Bassem Youssef dans une interview qui devait être diffusée hier lundi sur la chaîne de télévision al-Arabiya.)– « Ironiser sur le stetson du président et son anglais plus qu’approximatif ? Je n’ai fait que ça, huit années durant. » (Jon Stewart, parlant de George W. Bush.)Gamal Abdel Nasser, dit-on, se...

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