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Campus - Enquête

La loi antitabac vue par les étudiants

Plus de six mois après son entrée en vigueur, la loi 174 de lutte antitabac reste contestée par les restaurateurs et certains fumeurs. Où en sommes-nous aujourd’hui de son application ? Qu’en pensent les jeunes Libanais ? Campus a recueilli l’avis mitigé des étudiants.

Gassia Shahbazian et Hiam Khalaf, étudiantes en relations publiques à l’AUST.

« Les premières semaines qui ont suivi l’entrée en vigueur de la loi, tout le monde l’a appliquée par crainte des amendes, mais cela n’a pas duré longtemps », avance Carla Badawi, avant de poursuivre : « Bien qu’elle soit encore appliquée dans les campus universitaires et les milieux de travail, elle est enfreinte dans les restaurants, les pubs, les boîtes de nuit et les cafés. » Selon la jeune étudiante en troisième année de droit à l’université La Sagesse, les raisons derrière ces infractions sont multiples. « D’abord, les fumeurs ne sont pas prêts à respecter cette loi qui limite leur liberté de fumer. Ensuite, le temps accordé aux restaurateurs pour aménager les lieux conformément à la nouvelle législation n’est pas suffisant. Enfin, et c’est le plus alarmant, il y a un manque d’engagement de la part du gouvernement concernant l’inspection des espaces publics et l’imposition des sanctions. »
Nasma Berri, étudiante en master I de santé publique à l’AUB, ne partage pas cet avis. « On peut dire que, dans une certaine mesure, la loi est appliquée. Les restaurants qui enfreignent la loi sont surtout ceux qui n’ont pas d’espaces ouverts et qui servent encore le narguilé sous prétexte que s’ils l’interdisaient, les clients iraient dans un autre café pour fumer », affirme-t-elle tout en dénonçant les restaurateurs qui « ont trouvé un moyen de contourner la loi en établissant des tentes en guise d’espaces fumeurs ».

L’aspect économique
« C’est un de nos droits fondamentaux de respirer de l’air propre, poursuit Nasma. Si quelqu’un veut fumer, qu’il le fasse à l’extérieur. Pourquoi nous imposera-t-il d’inhaler la fumée de sa cigarette ? » Hiam Khalaf, étudiante en relations publiques à l’AUST, approuve : « Cette loi protège mon droit, en tant que non-fumeuse, de ne pas être victime de tabagisme passif et m’épargne l’odeur dégoûtante de la cigarette qui s’accroche à mes habits et mes cheveux à chaque sortie avec mes amis », affirme-t-elle.
Johnell Bllel, étudiante en gestion hôtelière, avance un autre argument en faveur de la loi. « Bien que cette loi ait été contestée par les restaurateurs qui se plaignent d’une baisse de leurs revenus, je crois que le statut non fumeur du Liban le rendra plus attractif aux touristes. D’un autre côté, cette législation protège les employés du secteur de l’hôtellerie et de la restauration car elle les dispense de respirer les quelque 4 000 composés toxiques qui se trouvent dans la fumée de la cigarette et réduit ainsi leur risque de contracter des maladies liées au tabagisme. »
Moins de malades, donc moins de dépenses en matière de santé, affirment les étudiants qui appuient la loi. « L’application de cette loi aura pour conséquence une réduction du coût des traitements des maladies liées à la cigarette. L’argent économisé pourrait alors être utilisé pour traiter d’autres maladies », proposent-ils.

Tous les jeunes ne sont pas du même avis
Bien qu’elle ne soit pas fumeuse, Caline Farah est contre l’interdiction de fumer dans les espaces publics fermés. « La loi antitabac a été ratifiée au mauvais moment, dans une période où le Liban est agité par des affaires sécuritaires plus urgentes », se plaint l’étudiante en master « relations internationales » à l’USJ. « Au lieu d’orienter le travail des Forces de sécurité intérieure vers le maintien de l’ordre, on les envoie à la chasse aux cigarettes, poursuit-elle. En appliquant cette loi, on frappe le secteur touristique qui fait travailler des milliers d’employés. Le Liban ne peut pas être comparé aux pays européens parce que nous en sommes sociologiquement différents. »
Charles Gharios ne peut être plus d’accord. « Je connais très bien les conséquences néfastes de la cigarette sur ma santé, admet le jeune étudiant en médecine. Mais cela ne m’empêche pas de fumer. Non, je ne respecte pas la loi 174. Les lois doivent répondre aux aspirations des citoyens, et ce n’est pas le cas de cette loi. Cette législation ne peut pas être appliquée dans un pays où fumer le narguilé fait partie du mode de vie des citoyens pour lesquels la cigarette représente un défoulement, et qui sont privés de leur moindre droit, tel qu’une bonne couverture médicale. » Élie Khoury, étudiant en finance à l’université La Sagesse, qui trouve « humiliant et marginalisant pour les fumeurs d’être obligés de sortir dans la rue à chaque fois qu’ils ont envie d’une cigarette, n’arrive pas », lui aussi, « à respecter la loi 174, et ce malgré le risque de sanctions ». Raymond Saliba, également étudiant fumeur à La Sagesse, se hâte d’affirmer le contraire : « Je ne fume plus dans les endroits publics fermés qui appliquent la loi. Pour moi, ma liberté de fumer s’arrête là où commence celle des non-fumeurs. »

Quelles solutions ?
« Pour une bonne application de la loi, il faut que le gouvernement fasse preuve de fermeté dans les sanctions et les amendes et qu’il augmente le nombre de ses inspecteurs sur le terrain », propose Rowina Achkar, étudiante en troisième année de droit à l’université La Sagesse.
Joe Abi Nader, quant à lui, propose d’augmenter à la fois le prix du paquet de cigarettes et le montant de la contravention. L’étudiant en pharmacie à l’USJ trouve que « l’argent est le fléau des hommes ». « Faites payer une grosse amende aux contrevenants, et vous verrez leur comportement changer », assure-t-il. Daisy Chammas, étudiante en nutrition à l’USJ, suggère, outre une véritable séparation entre les zones fumeurs et non-fumeurs et la création de fumoirs, l’établissement de restaurants, de cafés à chichas et de pubs fumeurs, et d’autres où il est strictement interdit de fumer.
Sara Zahreddine propose de multiplier les campagnes de sensibilisation dans les écoles et les universités de manière à convaincre les jeunes de l’importance de cette législation ainsi que d’autres lois en rapport avec leurs droits civils. « L’enjeu à long terme est de pouvoir changer la mentalité des gens. Et cela se fait progressivement », affirme l’étudiante en troisième année de psychologie. Qui parle de respect, parle de civisme. Stéphanie Ghoubril, pharmacienne en devenir, insiste sur le fait que « le respect des lois ne doit pas être sélectif. Si on est un bon citoyen, on respecte toutes les lois ». « Pour que les gens s’habituent à ne plus fumer dans les endroits publics fermés, il faut que tous les restaurants appliquent la loi », insiste Nasma Berri.
Diana Eid, étudiante en médecine dentaire à l’USJ, conclut : « Les fumeurs, s’ils ne fument pas dans les lieux publics, ils le feront ailleurs. Cette loi ne mènera pas à une diminution du taux de tabagisme. »
Une remarque qui devrait être prise en considération si on veut réduire le taux de tabagisme, d’une manière significative, au Liban.

 

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