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Culture - Piano

Prince Igor au clavier...

Pour sa trentaine fringante et fougueuse au clavier, Igor Tchetuev, pianiste ukrainien virtuose et néanmoins doté déjà d’une étonnante maturité, a offert à l’église de l’USJ, à l’initiative de Caritas-Liban (secteur Kesrouan 1), un concert de qualité.

Igor Tchetuev : un menu pétri de prouesses et de sensibilité mélodique. Photo Hassan Assal

Avec prince Igor (toute allusion à Borodine n’est guère fortuite) au clavier, un menu de choix pour une prestation de choix. Devant un autel dégarni de fleurs, mais riche de son sanctuaire, de son marbre et de ses grands candélabres, un piano à queue noir gardé par de nombreux photophores. Photophores en verre aux cierges allumés, posés à même le damier des dalles du sol. Image scintillante avant que les touches d’ivoire ne prennent la parole et le pouvoir...
Pochette claire sagement rangée au cœur du veston, sanglé dans un costume sombre sur une chemise col Mao noire, la frange de cheveux couleur d’ébène chatouillant les sourcils, Igor Tchetuev a attaqué de front un menu pétri de prouesses, mais aussi nanti d’un sens maîtrisé des mélodies aux nuances les plus subtiles.
Ont résonné sous les voûtes de l’église (accueillant un public religieusement recueilli) des pages de Beethoven, Chopin et Liszt. Un frémissant bouquet aux fragrances romantiques...
Les premières mesures de la Sonate n° 26 op 81 dite les Adieux du maître de Bonn. Un opus (en trois mouvements) dédié à l’archiduc Rodolphe évoquant, avec effusion, en tons tendres et lyriques, la séparation de deux amis. On retient cet andante presque chantant, fluidité rêveuse d’une intériorité bouillonnante, toujours en remous, toujours en questionnement. Pour la clôture de l’œuvre, en derniers accents, incendiaires et éruptifs, après des notes en pics qui donnent l’impression de stalactites suspendues en l’air ou de stalactites émergeant de la terre, les morsures de chromatismes tonitruants...
Pour prendre le relais, le monde diaphane, poétique, tourmenté, enfiévré et rêveur de Chopin. Le Scherzo n° 1 donne le coup d’envoi. Vertigineux premiers accords comme une toupie folle lâchée dans son irrépressible ronde giratoire. Pour une narration impalpable et soyeuse, aux dernières cadences flamboyantes, pleuvent une myriade de notes lumineuses comme des étoiles filantes qui traversent le firmament. Un firmament brusquement embrasé et habité d’une étrange agitation sereine.
Il fallait si peu pour retrouver le velours de la nuit avec ce Nocturne en fa majeur op 15 n° 1, toujours de Chopin, un bijou de concision et de richesse sonore. Murmures et éclats d’un chant intense dont les lignes mélodiques tracent en douceur leur chemin, au plus profond des vibrations et des intermittences du cœur. Une phrase au long cou qui parfois vrille le clavier et le cœur, comme ces vignes qui s’enroulent en grappes turbulentes entre sarments noueux et feuillages touffus...
Pour terminer cette promenade dans les bois et les sous-bois du pèlerin polonais, la Ballade n° 4. Rêveries d’un promeneur solitaire où les notes d’un monde bleu, de caresses insaisissables se transforment brusquement en nuages menaçants. Arpèges furieux, mais opalescents comme un fin collier de perles.
Petit entracte, plus utile à la préparation de l’artiste qu’au repos de l’auditoire, car il s’agit de servir l’unique, la grande Sonate en si mineur de Frantz Liszt, véritable morceau d’anthologie pianistique, dédiée à Schumann et que Wagner magnifiera en ces termes: «Elle est grande, affable, profonde, noble, sublime comme toi...»
Habitée, à la fois angélique et démoniaque, haletante, nerveuse, tabernacle de grandes interrogations existentielles, cette œuvre grandiose, incantatoire, a toutes les emphases, toutes les modesties, toutes les colères et toutes les paix.
Un mélange volcanique, une musique magnétique, aux harmonies les plus intrépides, les plus hardies. Et Igor Tchetuev la restitue dans toute sa puissance et sa magnificence sonores. Sans excès ni faille.
Tant de maestria, tant de précision, un sens élogieux du toucher et de la netteté du phrasé, voilà une vraie prouesse, un véritable tour de force.
Applaudissements enthousiastes et petite gerbe, très «restretto», de roses blanches à l’artiste. Bouquet qui reposera un moment sur le couvercle du clavier, car le pianiste honore deux rappels qu’il accorde avec la même grâce sereine, la même inépuisable énergie, le même parcours sans reproche...
Avec prince Igor (toute allusion à Borodine n’est guère fortuite) au clavier, un menu de choix pour une prestation de choix. Devant un autel dégarni de fleurs, mais riche de son sanctuaire, de son marbre et de ses grands candélabres, un piano à queue noir gardé par de nombreux photophores. Photophores en verre aux cierges allumés, posés à même le damier des dalles du sol. Image...

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