Poupées, minivoitures, casse-tête... les jouets sont en danger

Après une longue attente, le père Noël est enfin passé. Finies les ruées dans les centres commerciaux et l’invasion des magasins, finies l’angoisse des parents et les heures infernales dans les embouteillages.
Au niveau des cadeaux, un phénomène récent fait que la vente des jouets pour les moins de 10 ans diminue, notamment les poupées, les jeux de société et autres amusements basiques. Un nombre grandissant d’enfants préfèrent jouer avec des consoles au lieu de sortir, et s’isoler avec leurs engins électroniques plutôt que de jouer en groupe. De nombreux facteurs sont entrés en jeu. Mis à part l’impact de la technologie, on entend aussi parler de crise économique ou tout simplement de changement de goût et de valeurs. Que s’est-il réellement passé? Les gérants de magasins de jouets et les parents commentent.

 Les magasins de jouets
Dans une des rues de Tabaris, on trouve le magasin d’Élie Fayad et de sa sœur Joyce. « Le Joueur » existe depuis une dizaine d’années, et a depuis toujours été populaire pour sa vente de jeux et de gadgets auprès des petits et des plus grands. Pourtant, Joyce Fayad avait beaucoup à dire.
«Cela fait déjà 7 ans que la vente de jouets baisse... et trop vite.» De nombreux facteurs ont contribué à cette baisse. Pour la dame, il s’agit principalement du changement des mentalités et des intérêts. «Nous vendons beaucoup moins de jeux de société, précise-t-elle. Les jeunes préfèrent s’isole!»
Selon elle, les garçons s’orientent en effet vers des jeux de construction individuels. Les filles, elles, demandent des jeux de cuisine qui leur permettent de préparer elles-mêmes des desserts ou des chips. «Elles veulent très vite devenir des femmes», soutient Joyce Fayad.
En raison de l’utilisation plus facile et fréquente d’Internet, les jeunes semblent être moins attirés par les jeux de société, qui sont d’habitude très demandés en hiver. Selon la copropriétaire du magasin, ce déclin a commencé il y a deux ans. Elle exprime son regret en ajoutant: «Les jeux de société créent une sorte de contact et apprennent beaucoup de choses aux enfants. Certes, ils peuvent entraîner des disputes, mais le plus important c’est que cela les fait rire... C’est dommage qu’ils préfèrent de plus en plus être seuls.»
Pour compenser la baisse des ventes chez les enfants, «Le Joueur» a augmenté sa gamme bébé, puisque les jouets des moins de 5 ans se vendent toujours aussi bien qu’avant.
Que font les parents? Selon Joyce Fayad, «certains d’entre eux imposent les jouets à leurs enfants, même indirectement en jouant avec eux ». Ainsi, ils les incitent à se détacher un peu de leurs engins et «de la solitude qu’entraîne l’écran», constate-t-elle.
Un peu plus loin, chez «JouéClub», le gérant Simon Khoury raconte sa version concernant la vente des jouets : «Nous avons une réduction de 4% depuis l’année dernière. En tout cas, on peut dire que les ventes n’ont certainement pas augmenté.» Il ajoute: «C’est dur de vendre un jouet traditionnel en ce moment, sauf s’il a été fortement commercialisé à la télévision.»
À partir de 7 ou 8 ans, les enfants s’orientent vers les engins électroniques qui ressemblent à ceux qu’utilisent leurs parents. M. Khoury pointe vers un jouet qui ressemble beaucoup trop à un iPad : c’est une tablette avec une interface et un dispositif similaire. L’âge d’utilisation? Six mois et plus. Quant aux parents, ils sont convaincus qu’ils sont presque en train d’encourager ce phénomène. En effet, le gérant raconte que lorsqu’il montre des jouets aux parents, leurs réponses sont du genre: «Mon enfant a un iPad. Que va-t-il faire de ce jouet? Il finira par le jeter.»
Exaspéré, M. Khoury insiste sur le fait que les parents dévalorisent les jouets. Il précise que «80% d’entre eux sont même fiers de voir leurs enfants grandir si vite». «Ce qu’ils ne réalisent pas, c’est que cela pose un danger, fait-il remarquer. Si leur enfant a déjà un iPad à 8 ans, qu’est-ce qu’il demandera dans quelques années?»
D’autres facteurs affectent les ventes. Simon Khoury explique que «la situation du pays fait que les gens ne pensent pas aux jouets, mais plutôt aux nécessités ». « Ceux qui achètent préfèrent plutôt les jeux qui durent, comme une console de jeux, dit-il. Celle-ci tiendrait longtemps, et au fur et à mesure tout ce qu’ils auront à faire, c’est acheter les jeux vidéo. »

Les parents
La famille Fawaz ne pouvait que rire lorsque maman et papa ont lu la petite lettre de leur fils de 8 ans : « Cher père Noël, je voudrais un iPhone 4S noir, s’il te plaît... L’iPhone 5 serait même mieux! Merci.» Inutile de dire qu’ils ont craqué, et Ali a eu son iPhone 5.
Norme ou folie ? « J’ai offert un iPad à mes enfants », déclare Nabil Kassar. Sa fille a 9 ans et son fils en a 7. « C’est vrai qu’ils ne jouent pas beaucoup en groupe, mais ma femme et moi ne voulons pas aller contre le courant. Après tout, nous ne voulions que leur faire plaisir », insiste-t-il. Ils ont quand même trouvé un moyen d’imposer des limites et de maintenir un certain équilibre : l’iPad et tout autre jeu électronique sont interdits en cours de semaine.
Cynthia affirme que sa sœur a offert un caméscope à sa fille de 10 ans. « Le choix des cadeaux a changé, précise-t-elle. Elle n’est plus intéressée par les jouets basiques, elle préfère les engins électroniques et les habits. » Ses parents ne sont pas satisfaits, mais veulent à tout prix « la rendre heureuse pour qu’elle ne soit pas différente des autres filles ».
Georges Khalil, lui, pense toujours que c’est de la folie. « Mon fils n’a que 9 ans, confie-t-il. Je veux qu’il ait la même enfance que moi, une enfance pleine de jouets, de monde et de rires... Il a tout le temps pour apprendre qu’il est loin des autres. »