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À La Une - Éclairage

La direction du vent et les réalités du terrain...

Les propos du vice-ministre russe des AE hier sur les progrès de l’opposition syrienne et la possibilité de la chute du régime, repris dans tous les médias, sont venus conforter le 14 Mars dans sa conviction que les jours du président Assad au pouvoir sont désormais comptés et qu’ils ont donc fait le bon choix en appuyant les rebelles, ainsi que la prise du pouvoir dans la région par les Frères musulmans, selon le plan véhiculé par la Turquie et le Qatar.


Mais ce plan, aussi cohérent soit-il (voir L’Orient-Le Jour du mercredi 12 décembre), comporte des lacunes, et si on y regarde de plus près, il n’est pas réellement appliqué selon les prévisions et les attentes de ses parrains internationaux et régionaux. De Gaza à Tunis, en passant par Le Caire, Damas et Beyrouth, rien ne se passe comme prévu.


À Tunis et au Caire, le pouvoir des Frères musulmans peine à se mettre en place. Si les troubles en Tunisie sont devenus le pain quotidien des habitants, ce sont surtout les développements en Égypte qui inquiètent les Occidentaux. D’abord, les Frères musulmans montrent chaque jour leur dérive totalitaire, mais surtout, ils se heurtent à une opposition grandissante, qui ne veut pas baisser les bras. Les Égyptiens n’ont jamais été aussi divisés et l’opposition au régime des Frères annonce clairement qu’elle ne veut pas qu’on lui vole sa révolution. La situation est confuse et nul ne peut prédire quel sera l’avenir de l’Égypte. Mais l’élément le plus important, c’est que l’ère des tyrans qui pouvaient faire tout avaler à leurs populations est révolue et les Occidentaux craignent de plus en plus les mauvaises surprises avec le pouvoir des Frères musulmans.


Dans le dossier palestinien, la situation est aussi complexe. Si, en apparence, le Hamas de Khaled Mechaal est en voie de devenir « fréquentable » en acceptant plus ou moins clairement la possibilité d’un compromis après avoir obtenu le statut d’observateur à l’ONU pour la Palestine, rien n’indique que la situation est aussi simple. D’abord, les huit jours d’affrontements avec Israël et le lancement de missiles sur Tel-Aviv et Jérusalem ont donné aux Palestiniens un sentiment de puissance qu’ils n’avaient plus éprouvé depuis longtemps. Et ce sentiment est essentiellement dû aux armes fournies par l’Iran. C’est dire que la base du Hamas n’est pas forcément acquise à l’idée du compromis avec Israël, malgré la disparition du chef militaire Ahmad Jaabari. D’autres cadres du mouvement refusent de rompre les liens avec l’axe dit de la résistance, et le chef du gouvernement de Gaza Ismaïl Haniyeh adopte une position ambiguë ménageant aussi bien le Qatar et la Turquie que l’Iran et le Hezbollah. De plus, à la gauche du Hamas, il y a le Jihad islamique qui prend de plus en plus de poids à Gaza et qui est totalement aligné sur la politique de l’Iran. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si les Israéliens ont refusé au chef de cette organisation Ramadan Abdallah Challah l’autorisation de se rendre à Gaza. C’est dire que « l’esprit résistant » est encore vivace à Gaza, et même si Mechaal se dirige vers un compromis – ce qui n’est pas encore confirmé –, il doit aussi tenir compte de la base de son organisation ainsi que de la tendance générale des Palestiniens qui ont montré, plus de soixante ans après la nakba et malgré leurs conditions de vie atroces, qu’ils continuent à vouloir lutter pour leurs droits. De plus, si la reconnaissance de la Palestine comme État observateur à l’ONU entraîne une reconnaissance tacite de l’État d’Israël par les pays qui niaient jusque-là son existence (l’Iran a ainsi voté en faveur de la résolution), elle permet aussi aux Palestiniens de déposer une plainte contre cet État devant la Cour internationale et elle leur donne comme point de départ de toute négociation ultérieure les frontières de 1967.

 

En même temps, ce qui rend la possibilité d’une négociation assez difficile, c’est le refus des Israéliens de faire la moindre concession. Même si Netanyahu perd les prochaines élections, les sondages montrent que 60 % des Israéliens sont d’accord avec sa politique. La Cisjordanie est ainsi presque totalement démantelée par les colonies israéliennes, et malgré toutes les condamnations occidentales, les responsables israéliens ne semblent pas prêts à modifier leurs plans. Face à une telle réalité, que restera-t-il à négocier ?


En Syrie, les développements ne sont pas non plus forcément rassurants. Les médias américains et les instituts de recherche dénoncent de plus en plus la dérive islamiste de l’opposition syrienne ainsi que la multiplication de groupes takfiristes, qui font eux la plupart des batailles sur le terrain. Les conclusions de ces centres de recherche montrent clairement que si le régime syrien devait chuter, il n’y aurait pas forcément une solution en Syrie. Au contraire, le pays serait livré à une multitude de groupes divisés, extrémistes et sans véritables têtes. La situation pourrait même devenir plus compliquée et le chaos s’installerait pour quelques années au moins dans ce pays stratégique à plus d’un titre.


Enfin, au Liban, le rapport des forces n’est toujours pas en faveur du 14 Mars, puisque Walid Joumblatt, sur lequel misait Saad Hariri, ne cesse d’exprimer son appui à l’actuel gouvernement qui lui paraît préférable au vide institutionnel. Le slogan de faire chuter le gouvernement de Mikati ne semble pas devoir se concrétiser dans un proche avenir, alors que le chaos à Tripoli ou à Saïda ne lui profite pas non plus. C’est d’ailleurs à cause essentiellement de la pression populaire que le Premier ministre a décidé de réunir le Conseil supérieur de défense dimanche dernier pour décider d’un plan de sécurité à Tripoli.


Pour toutes ces raisons, le plan d’une prise de pouvoir dans la région par les Frères musulmans et la mouvance islamique en général avec l’aval des Occidentaux n’est pas aussi précis qu’on pourrait – ou voudrait – le croire.

 

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