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À La Une - Liban

Manifestation contre la loi antitabac : le deuil du tourisme

Des milliers de contestataires ont applaudi les responsables syndicaux . Photo Michel Sayegh

Des milliers de personnes se sont rassemblées hier au carrefour de Sodeco pour exprimer leur ras-le-bol de la loi antitabac (loi 174). Répondant à l’appel des propriétaires de restaurants, de boîtes de nuit et d’hôtels, près de 7 000 manifestants (10 000 selon les organisateurs), pour la plupart des employés et serveurs au sein des sociétés concernées, ont dénoncé avec rage la grave nuisance que porte la loi à leur commerce, dont elle contribue à réduire une clientèle déjà affectée par la précarité de vie et les menaces pesantes sur la sécurité, aussi bien des Libanais que des étrangers. 


« Députés, vous vous êtes disputés sur tout, sauf sur notre gagne-pain ! », « Prenez garde, la mauvaise politique est dangereuse pour l’économie », ou encore « N’éteignez pas la cigarette dans la poche des gens », pouvait-on lire sur les banderoles, brandies par des serveurs de narguilés et des garçons, accompagnés par leurs gérants respectifs et revêtus de leur costume de travail, avec le nom du restaurant ou du café qu’ils représentent. Certains vont même jusqu’à solliciter la presse pour fournir le nom du restaurant, espérant quelque publicité dans la foulée des revendications. C’est dire la frustration des restaurateurs face à leurs pertes, qu’ils rejettent directement sur la loi 174.

Pas de loi au prix du gagne-pain
« Nous ressentons fortement la diminution du nombre de clients », assurent à L’Orient-Le Jour des serveurs de restaurants arabes de renom. « Même si les clients viennent déguster notre cuisine, il reste qu’une cigarette est un complément essentiel au verre siroté, sans oublier que le narguilé est lui aussi demandé chez nous », ajoutent pour leur part les gérants de ces mêmes restaurants. Insensibles par ailleurs aux soucis de santé liés à leur exposition quotidienne aux fumées de tabac, c’est le risque de perdre leur emploi qui les effraie. « Qu’ils m’assurent une loi qui me donne la santé sans m’ôter mon pain quotidien », lance une jeune femme, sur un ton encore plus ferme que les autres manifestants, comprenant une majorité écrasante d’hommes. Observant calmement le déroulement de la manifestation, un quinquagénaire qui travaille depuis 16 ans comme serveur dans un café réputé du centre-ville affirme que les menaces de licenciement sont de plus en plus ressenties, en dépit de la bonne foi des propriétaires.
Plus loin, un jeune adolescent, à la carrure encore fragile, tente de se frayer une place sur l’estrade où les discours des responsables syndicaux sont attendus. Refusant de répondre aux questions, il est immédiatement rattrapé par son patron qui répond à sa place. « Quelle santé la loi 174 veut protéger, lorsque tous nos clients vont fumer désormais leur narguilé à la maison et polluent leur environnement familial ? » lance-t-il à L’OLJ. Pour les serveurs de narguilé, le va-et-vient incessant entre les tables des fumeurs oisifs semble désormais terminé. « On ne fait plus rien, notre activité est littéralement paralysée », lance avec émotion un homme d’une trentaine d’années, père d’un enfant et d’un second prochainement.


Du côté des hôteliers, les plaintes font écho à celles des restaurateurs, quand bien même les chambres restent réparties entre zones fumeurs et non fumeurs. « Le narguilé est interdit dans les chambres et les clients qui ont envie de se détendre dans le lobby ou le bar de l’hôtel le font de moins en moins à cause de l’interdiction de fumer », déplore Georges Akiki, membre du syndicat des propriétaires d’hôtels, insistant sur « le manque d’attention portée par l’État au secteur touristique, pourtant vital ».

Les arguments
C’est d’ailleurs sur les agissements presque délibérés de l’État visant à saper le secteur touristique que les responsables syndicaux ont axé leurs allocutions, devant une foule enflammée. Évoquant d’abord « un état de crise touristique et politique », le président de la Fédération des sociétés de tourisme, Pierre Achkar, a appelé à la suspension de la loi et l’abolition des amendes, le temps de réformer la 174, de manière à légaliser l’aménagement de deux zones fumeurs et non-fumeurs séparées dans chaque établissement. « Parmi nos employés, 120 000 sont Libanais », insiste-t-il. « Annulez la loi ! » lance l’un des manifestants, faisant un excès de zèle.
Mais M. Achkar se prononce en termes modérés, expliquant à L’OLJ, photos sur son portable à l’appui, qu’il existe des fumoirs dans les plus grandes capitales du monde. Il reconnaît en outre les pertes subies par les établissements avant la promulgation de la loi, le 3 septembre dernier, mais assure que celle-ci a accru les pertes. « Du fait des prescriptions faites par les États du Golfe à leurs ressortissants de ne pas se rendre au Liban et de l’instabilité générale, nous avons essuyé une diminution de 50 % de nos gains », a souligné M. Achkar.

Clientélisme et régie de tabac
« La loi 174 a augmenté ces pertes de 50 %, cumulant au total un recul de 75 % au niveau des gains », précise-t-il. Prié de fournir des chiffres de comptabilité exacte, il donne l’exemple de la TVA versée par un restaurant au cours des trois derniers trimestres : 101 millions de livres libanaises au premier semestre, 76 millions au deuxième, et un million au dernier, précise-t-il. De son côté, Antoine Saniour, propriétaire de bars à chichas, affirme à L’OLJ être en faveur de la loi, « à condition de prendre en compte le cas des restaurants qui fondent leur activité sur le tabac, comme c’est le cas ailleurs ». Il donne l’exemple d’un citoyen américain qui est filmé dans un bar à chichas au Nevada, en train de suivre la présidentielle à la télévision.


« Si l’État veut réellement préserver notre santé, qu’il hausse le prix du paquet de cigarettes », ajoute-t-il, dénonçant l’argument habituel des politiques qui disent craindre la contrebande en pareil cas. « Leur motif réel est de ne pas toucher aux gains de la régie de tabac (ndlr : qui relève en grande partie du président de la Chambre) », relève-t-il. C’est pourquoi, d’ailleurs, les intervenants ont sollicité précisément l’appui du président Nabih Berry dans leurs demandes pour l’amendement de la loi. « Nous avons déjà assez de pertes et ne pourrons pas supporter un hiver, aussi court soit-il. » Antoine Saniour dénonce en outre l’application inégale de la loi, « qui n’est pas respectée en banlieue sud ni à Tripoli », même si la manifestation a inclus des restaurateurs de toutes les régions.


Ainsi, le président du syndicat des propriétaires d’établissements touristiques au Liban-Sud Ali Tabbaja est allé jusqu’à déclarer que la loi 174 est désormais considérée comme inexistante. Une déclaration reprise fermement par le président du syndicat des restaurateurs Paul Ariss et son secrétaire général Tony Rami. Les discours successifs ont été entrecoupés d’obsèques simulées, celles du tourisme dans un cercueil blanc et d’une table de mezzé en voie de disparition. Des couronnes de fleurs ont même été prévues en leur hommage, portant les noms des restaurateurs, du ministère du Tourisme et du peuple libanais.

 

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