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Liban - Débat

Printemps ou hiver arabe : entre « dictatures nouvelles » et « modernisme réinventé »

Dans le cadre des Rencontres d’Averroès, reproduites pour la première fois à Beyrouth, une table ronde a été organisée pour confronter les avis sur les mouvances régionales.

Le titre de « Printemps ou hiver arabe ? », souvent accolé aux débats sur les mouvances qui restructurent la région depuis 2010, paraît de prime abord comme un cliché. Comme s’il venait consacrer l’écart, déjà consolidé, entre ceux qui défendent un réveil irréversible des peuples et ceux qui se méfient des revers de la révolution, dissimulés dans une illusion de réforme. Sauf que les intervenants à la table ronde organisée au théâtre Tournesol, dans le cadre des Rencontres d’Averroès, ont contourné les arguments prévisibles. 


D’abord, toute approche idéaliste a été une fois pour toutes écartée du débat, laissant la place, d’une part, au pessimisme réfléchi et provocateur du journaliste Pierre Abi Saab et, de l’autre, à la volonté de Yves Gonzalez Quijano, chercheur et auteur des Arabités numériques : le printemps du web arabe, d’entrevoir un nouveau modernisme défini par les jeunes Arabes. Cette perspective est relayée par l’attention aux nuances des comportements sur le terrain, portée par Nicolas Dot-Pouillard, chercheur à l’Institut français du Proche-Orient (IFPO). À ces différents angles s’est ajoutée l’approche mystique du metteur en scène Roger Assaf, fondée sur l’humanisme de l’islam.

Des « intérêts occidentaux »
Pierre Abi Saab a axé son intervention sur le brusque « retour à la réalité », après l’évocation éphémère du « rêve de plusieurs générations qui se réalisait en direct à la télé ». Si produire le changement c’est « faire table rase du passé », il aurait fallu par exemple que les accords de paix entre l’Égypte et Israël soient revus, dans le cadre d’un « réexamen des relations avec ce dernier, sur base d’une confrontation pour une paix juste ». Évoquant à plusieurs reprises « la justice » comme indicateur d’une réforme effective, le journaliste tend plutôt à croire que les démarches ayant fait suite aux soulèvements ne sont qu’un pur produit « d’intérêts occidentaux... ». Il fonde son scepticisme sur la montée des islamistes, « nouvelle tyrannie difficilement éjectable puisque les forces élues changent les règles du jeu de manière à garder le pouvoir avec la bénédiction de l’Occident ». Même les ONG, ces « nouveaux gardiens de la révolution », seraient l’outil des puissances occidentales. Son approche, mue par une phobie de quelque mainmise américaine et sioniste, dont il veille pourtant à se défendre, porte également une crainte pour la créativité culturelle dans la région.

 « Le corps de la jeunesse arabe »
Alors que Yves Gonzalez Quijano valorise « l’adjonction de l’adjectif arabe au phénomène du printemps », estimant que « le printemps arabe rejoint l’affirmation politique et identitaire de l’arabisme tel qu’apparu au XIXe siècle », M. Abi Saab estime au contraire que l’emploi de cet adjectif vise à éroder progressivement la réflexion sur une identité arabe. « Laissez la jeunesse parler et faire son chemin », lui rétorque M. Quijano, en situant à trois niveaux la dynamique innovée par la génération insurgée : « La langue, la religion et le sexe. » Pour lui, l’obstacle que constituait la difficulté de la langue arabe s’est abattu, « cette langue étant aujourd’hui réinventée par les jeunes du web ». Ensuite, même si « le spectre de l’islam politique est là, les nouveaux médias apportent un nouveau regard sur la religion, en imposant le dialogue pour repenser la modernité ». Une modernité qui ne saurait se dissocier enfin du « corps de la jeunesse arabe qui réclame ses droits ». Si le sexe est « le non-dit du printemps arabe », il semble en être l’une des preuves les plus concrètes.


À cela, Nicolas Dot-Pouillard ajoute l’exemple de groupes (comme au centre de la Tunisie) qui se mobilisent « en dehors des clivages entre islamisme et modernisme ». Il appelle à « déconstruire le modèle hiver-printemps », puisque la réalité est celle de « dynamiques qui s’entrecroisent ».

Nées en 1994 à Marseille, les Rencontres d’Averroès se proposent chaque année « d’organiser la controverse » sur l’actualité en Méditerranée, à travers trois tables rondes annuelles. Cette année, ces rencontres ont été rééditées au Liban, sous le nom de « Multaka ibn Ruchd », à l’initiative de Shams, association coopérative culturelle des personnes du théâtre et du cinéma.

 

 

Le titre de « Printemps ou hiver arabe ? », souvent accolé aux débats sur les mouvances qui restructurent la région depuis 2010, paraît de prime abord comme un cliché. Comme s’il venait consacrer l’écart, déjà consolidé, entre ceux qui défendent un réveil irréversible des peuples et ceux qui se méfient des revers de la révolution, dissimulés dans une illusion de réforme....
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