Rechercher
Rechercher

Culture

La guerre à la mesure de l’humanitaire

Les 20 ans du Salon du livre sont l’occasion de la présentation de « Beyrouth, comme si l’oubli... » de Nayla Hachem.

Écrit en collaboration avec Hyam Yared, l’ouvrage retrace la vie de l’auteure pendant la guerre, de 1975 à 1990, alors qu’elle était infirmière puis déléguée de la Croix-Rouge internationale.
Il y a des livres d’histoire, il y a des Mémoires, il y a des autobiographies. Ce livre-ci sera difficilement classable. Son auteure y retrace une histoire, basée sur ses souvenirs et son «petit carnet de bord vert d’eau», elle retrace un épisode de sa vie, des années particulières. Pour susciter la réflexion et pousser à ne pas oublier les enseignements du passé.
L’annonce est faite en quatrième de couverture: «Alors que le Liban est à nouveau agité par des soubresauts liés aux événements en Syrie, elle a décidé de raconter ce que fut sa guerre (...). Pour que l’on n’oublie pas...» Le livre définit son objectif et se veut lié à l’actualité. Ce n’est pas «la» guerre, mais la sienne, sous un point de vue personnel, mais surtout celui d’une Libanaise engagée dans la Croix-Rouge, pour son propre pays. À moins qu’elle ne soit engagée pour la Croix-Rouge, dans son propre pays.
La distinction, loin d’un simple jeu de mots, est importante. La dynamique qui anime principalement Nayla Hachem, c’est l’humanitaire, l’envie d’aider qui l’a fait devenir infirmière, puis déléguée du CICR (Comité international de la Croix-Rouge). Mais «mon identité libanaise refaisait surface», avoue-t-elle très vite. Les choses se compliquent alors doit-elle se soumettre à la neutralité exigée par la Croix-Rouge? Peut-elle rester de marbre face aux atrocités commises par son pays, contre son pays?
La neutralité, «cet idéal vers lequel nous devions tendre, tout en étant conscient de notre parti pris», est le fil d’Ariane de cette narration pleine de réflexion et de recul. Il émaille l’histoire de dilemmes, d’anecdotes sulfureuses et dangereuses. Souvent, c’est «un exercice impossible, inhumain». Alors Nayla dévoile sa personnalité bien trempée: elle aide certains combattants à fuir les massacres ou sert à d’autres un «thé au valium» pour les mettre hors d’état de nuire. Elle s’implique, se bat à sa façon, car «sur le terrain, mon sens du devoir n’obéissait à aucune règle», écrit-elle.
Autour de cet axe, on découvre progressivement la réalité de l’humanitaire, loin des beaux sentiments et des sacs de riz sur l’épaule. L’enthousiasme laisse place à la motivation, puis le choc, les chocs qui précèdent l’habitude, l’automatisation, proche de la déshumanisation, parsemée de découragement, ponctuée de cynisme, mais toujours traversée d’une ferme volonté d’agir. Il faut «obéir, improviser, jouer la comédie, appliquer, négocier... à l’infini». C’est la dictature de l’urgence, dans laquelle «l’action seule a la suprématie sur la réflexion». Car réfléchir, c’est donner à la peur l’occasion de s’immiscer, risquer de perdre l’espoir ou l’envie face à l’atrocité de la guerre.
L’humanitaire est fait «de valeurs trop nobles pour être pratiqué sur un terrain politisé», il prend corps dans l’œuvre de «pauvres soldats de l’inutile, de l’impuissant humanitaire». Mais pour autant, il est et sera toujours nécessaire, vital, une contre-force à l’horreur, qui nécessite le sacrifice des plus belles volontés.
Avec l’humanitaire, on découvre l’homme. Aux allures de confessions, le livre n’oublie pas les faiblesses, les erreurs et s’attarde intensément sur les sentiments éprouvés dans ces situations uniques. L’amour est un des grands thèmes. «L’amour est une école de la guerre», peut-on lire avec un brin de surprise et une grande admiration. Les sentiments se mêlent et se complètent. On ne peut survivre à la guerre sans un moment d’amour entre les bombes.
On découvre donc un itinéraire unique, dans le confort d’une narration empreinte de recul sur soi. L’anonymat des personnages (appelés Théo X. ou Jean O.) et la banalité des scènes de guerre dans laquelle le lecteur est plongé nous font parfois vivre la guerre comme s’il s’agissait de n’importe lequel de ces conflits. On finit par expérimenter des modèles-types, qui en décuplent la catharsis.
Écrit en collaboration avec la talentueuse Hyam Yared, Beyrouth, comme si l’oubli... est d’une lecture facile, malgré son sujet. Rédigé dans un style épuré qui colle à ce que l’on attend de brèves mémoires, chaque court chapitre reste parfaitement accessible, même sans une grande connaissance des faits historiques. Les descriptions ne dépassent pas l’essentiel et s’accompagnent parfois de juste ce qu’il faut pour humer l’ambiance: «Il sentait le cannabis, la sueur et une promesse de mort» suffit à décrire un milicien.
La priorité revient systématiquement à l’essentiel, dans lequel sont disséminées, par fulgurance, des phrases assassines, dénonciatrices, qui engagent l’auteur et sensibilisent le lecteur. L’accent est notamment mis sur l’atrocité de la disparition, la torture de l’absence de nouvelles, d’un corps, le silence d’une omerta de la guerre. Pour la dénoncer, il suffit d’une de ces phrases qui font la beauté de l’ouvrage: «Toute personne qui se tait est un diable silencieux.» Une formule comme un slogan, et tout est dit: la réflexion, c’est du ressort du lecteur, à lui de comprendre ce qui sous-tend chaque idée et imaginer ce que signifie chaque sensation décrite.
Didactique, cathartique, engagé, évocateur, sensible, parfois léger, trop vague, tristement mais nécessairement elliptique, anecdotique, ce récit d’une guerre peut être mille fois catégorisé ou critiqué, mais remplit ses ambitions, répond aux attentes avec une esthétique et une intelligence suffisamment rares pour être souligné et applaudi.
Et s’il reste encore des choses incomprises ou des points discutables, le Salon du livre francophone de Beyrouth offre l’occasion de participer à une table ronde autour du livre demain samedi 27 octobre à 18h, au BIEL, puis de rencontrer les auteurs, à 19h, au stand de la librairie al-Bourj. On trouvera l’ouvrage aux éditions Zellige, dans la collection Idrisi.
Écrit en collaboration avec Hyam Yared, l’ouvrage retrace la vie de l’auteure pendant la guerre, de 1975 à 1990, alors qu’elle était infirmière puis déléguée de la Croix-Rouge internationale.Il y a des livres d’histoire, il y a des Mémoires, il y a des autobiographies. Ce livre-ci sera difficilement classable. Son auteure y retrace une histoire, basée sur ses souvenirs et son...

commentaires (0)

Commentaires (0)

Retour en haut