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À La Une - Tribune

Syrie : Obama doit agir !

Anne-Marie Slaughter est professeure en sciences politiques et affaires internationales à l’Université de Princeton. Elle a été directrice de la prospective au département d’Etat de 2009 à 2011.

En cette période électorale aux USA, on peut voir deux hommes dans le président Obama. Il y a celui du discours du Caire en 2009 qui a appelé à un renouveau des relations entre les USA et le monde musulman. Mais cet Obama est de plus en plus éclipsé par Obama le tueur de terroristes, le commandant en chef qui a lancé des centaines de drones contre el-Qaëda et ses affidés, celui qui a donné l’ordre de tuer Ben Laden. 


L’Obama du Caire avait parfaitement compris quels sont les fondements de la sécurité des USA, mais le commandant en chef Obama les ignore en faisant ce qu’il croit nécessaire pour protéger les Américains. C’est pourquoi il faudrait que des pays musulmans l’appellent à prendre ses responsabilités.


Considérons la Syrie. Tout ce qui s’y passe était prévisible et prévu : une guerre par alliés interposés entre l’Arabie saoudite et l’Iran, montée du sectarisme et de la ségrégation ethnique, polarisation des extrêmes, les modérés réduits au silence, déstabilisation des pays voisins, infiltration par des groupes terroristes et un bain de sang dont le pays mettra des décennies à se remettre. Les groupes d’opposition syriens implorent qu’on veuille bien leur donner des armes pour combattre les avions du président Bachar el-Assad, défendre des territoires difficilement gagnés, protéger les civils et indiquer à Assad que le monde ne restera pas les bras croisés alors qu’il emploie tous les moyens pour réprimer son propre peuple.


Tous les matins, Obama reçoit un document qui l’informe de chaque complot destiné à tuer des Américains. Il sait qu’une arme capable de descendre un avion de guerre syrien peut tout aussi bien être utilisée par un terroriste contre un avion de ligne américain. Il croit qu’il a fait le bon choix en suivant la voie de la prudence et en attendant que le conflit syrien finisse par s’éteindre de lui-même, tout en minimisant les menaces à long terme contre des vies américaines.


Certains conseillers lui disent que toute intervention – par exemple la création d’une zone démilitarisée sur la frontière turque qui pourrait être étendue par la suite – nécessite de mettre hors d’état la défense antiaérienne syrienne dans tout le pays. Cela supposerait de bombarder Damas, ce qui pourrait renforcer le soutien en faveur d’Assad dans le pays. Et il n’est pas certain que le résultat soit positif ; cela pourrait sauver quelques vies, disent-ils, mais avec tant de pays impliqués par l’intermédiaire de groupes variés, cela ne changerait pas la dynamique globale du conflit.
Par ailleurs, les pays de la région ne lanceront pas une action militaire sans le feu vert du Conseil de sécurité ; or Russes et Chinois continuent à utiliser leur droit de veto. Et il ne faut pas oublier que les électeurs américains ne veulent pas d’une intervention militaire supplémentaire au Moyen-Orient – même si c’est au prix d’années de guerre civile et de l’implosion et de la fragmentation d’un pays qui a des frontières avec la Jordanie, l’Irak, la Turquie et le Liban.


Ces arguments sont de bonne foi et méritent d’être pris en considération. Mais l’art de diriger consiste à évaluer coûts et bénéfices et à trancher quand le choix n’est pas clair. Personne ne parle chaque matin pour le peuple syrien dans le Bureau ovale. Personne ne prend en compte le coût de trahir, une fois de plus, les valeurs dont se réclame l’Amérique, alors qu’un peuple veut marcher face aux fusils, précisément pour ces valeurs universelles : la dignité, la liberté, la démocratie et l’égalité. Le coût pour les USA en sera une génération de jeunes Arabes du Moyen-Orient prêts à croire à n’importe quelle rumeur à leur sujet, aussi extrême ou absurde soit-elle, convaincus du pire.


Personne ne souligne les dizaines de milliers de vies sauvées en Syrie et le basculement du conflit si les USA s’étaient impliqués résolument – ce qu’ils peuvent peut-être encore faire en dernière limite. Quelle différence avec la Libye, où l’un des résultats de l’intervention américaine a été de voir des dizaines de milliers de Libyens marcher dans les rues avec des pancartes déclarant leur soutien aux USA et leur indignation et leur tristesse face à l’assassinat de l’ambassadeur américain ! Et au niveau international, la Russie et la Chine seront encouragées à penser que l’Amérique ne bougera pas si elles utilisent leur droit de veto, et qu’elles auront ainsi le dernier mot.


Il est peut-être impossible de pousser les USA à agir avant l’élection présidentielle de novembre. À mon avis, la seule possibilité est que des pays de la région (la Turquie, l’Arabie saoudite, la Jordanie, le Qatar ou les Émirats arabes unis) en appellent ouvertement à une initiative américaine. Ils devraient rappeler à Obama ce que Nina Hachigian et David Shorr, deux spécialistes de politique étrangère, ont appelé récemment la « doctrine de la responsabilité » : les grandes puissances ont leur part de responsabilité dans le respect des normes internationales et dans la résolution des problèmes mondiaux.


La Ligue arabe devrait accuser publiquement le Conseil de sécurité de ne pas assumer sa responsabilité de veiller au maintien de la paix et de la sécurité internationale, et elle devrait demander aux pays ayant des intérêts importants dans la région de se joindre à elle pour agir. Elle devrait en particulier appeler les USA à assumer la responsabilité qui est la leur au niveau mondial et à « créer les conditions pour que d’autres interviennent et susciter des coalitions », selon l’expression utilisée par Obama pour décrire l’intervention en Libye. Elle pourrait demander aux USA d’agir conformément à leurs valeurs et de défendre leurs intérêts, tout en assumant leur responsabilité en tant qu’organisation régionale.


Il n’y a pas de bonne solution face au conflit dévastateur en Syrie, un conflit qui s’étend. Le seul choix est entre le mauvais et le pire. Mais un leader doit choisir. Or Obama fait le mauvais choix pour la Syrie, pour la région et pour les USA.


Traduit de l’anglais par Patrice Horovitz.
© Project Syndicate, 2012.

En cette période électorale aux USA, on peut voir deux hommes dans le président Obama. Il y a celui du discours du Caire en 2009 qui a appelé à un renouveau des relations entre les USA et le monde musulman. Mais cet Obama est de plus en plus éclipsé par Obama le tueur de terroristes, le commandant en chef qui a lancé des centaines de drones contre el-Qaëda et ses affidés,...
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