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À La Une - Crise

La transition en Égypte est en péril

L’armée manœuvre pour rester au centre du jeu politique, estiment les analystes.

Après la prière du vendredi au Caire, la foule a assailli la limousine du candidat des Frères musulmans à la présidentielle, Mohammad Morsi, comme s’il s’agissait d’une vedette. Ce dernier a sacrifié au rituel, sortant par le toit ouvrant de la voiture pour saluer les fidèles et ses partisans. Steve Crisp/Reuters

La transition vers la démocratie en Égypte paraissait en péril hier après l’invalidation des législatives remportées par les islamistes, dont le candidat affronte une figure de l’ancien régime au second tour de la présidentielle prévu aujourd’hui et demain. La décision prise jeudi par la Cour constitutionnelle d’invalider les résultats du scrutin législatif, pour un vice dans la loi électorale, a été qualifiée par les islamistes et les forces politiques issues de la mouvance « révolutionnaire » de véritable « coup d’État » orchestré par l’armée au pouvoir. La mise hors jeu de l’Assemblée pourrait en effet permettre au Conseil suprême des forces armées (CSFA) de reprendre à son compte le pouvoir législatif, comme cela fut le cas dans la période entre la chute de Hosni Moubarak en février 2011 et la première session du nouveau Parlement un an plus tard.


« Le scénario de la contre-révolution est bien clair à travers une série d’épisodes passant par les acquittements dans le procès de Moubarak (le 2 juin), la décision de donner à la police militaire et aux renseignements militaires le pouvoir d’arrêter des civils et finalement l’invalidation du Parlement », a déclaré un collectif de partis de gauche, laïques et libéraux. « Toutes ces mesures démontrent que le CSFA est déterminé à reproduire l’ancien régime et que la présidentielle n’est qu’une mauvaise comédie visant à permettre au CSFA de renforcer son emprise sur les rouages de l’État et de les mettre au service du candidat de l’ancien régime, Ahmad Chafiq », ont dénoncé ces partis dans un communiqué.

 

Le candidat des Frères musulmans, Mohammad Morsi, a cependant annoncé qu’il respectait la décision de la Cour, qui a aussi invalidé une loi privant les piliers de l’ancien régime de leurs droits civiques, permettant ainsi à Ahmad Chafiq, le dernier Premier ministre de Hosni Moubarak, de rester dans la course à la présidentielle.
« Le peuple égyptien qui a élu dans la liberté et la transparence ses députés est en mesure de réélire d’autres personnes qui protègeront les acquis de la révolution que des personnes veulent confisquer », a pour sa part déclaré le président de l’Assemblée du peuple, l’islamiste Saad al-Katatni. « Le peuple est bien déterminé à protéger sa révolution contre les corrompus de l’ancien régime », a renchéri M. Morsi lors d’une conférence de presse.


Quant à elle, l’armée a averti qu’elle ferait « fermement face à quiconque empêcherait les citoyens de choisir le futur président de l’Égypte ». Elle a aussi annoncé le déploiement de 150 000 militaires pour assurer la sécurité dans plus de 13 000 bureaux de vote à travers le pays. Pour inciter les quelque 50 millions d’électeurs potentiels à se rendre aux urnes, les autorités ont décrété aujourd’hui et demain jours fériés. Et le ministère de l’Intérieur a annoncé un plan de sécurité draconien pour prévenir d’éventuels troubles.


Pour les analystes, l’armée se donne les moyens de rester un acteur central du pouvoir et de contrer ses rivaux historiques, les Frères musulmans. « Ce qui se passe fait partie du plan global de transition mis au point par les militaires, qui essaient depuis près d’un an et demi d’absorber le choc de la révolution », dit Khalil al-Anani, spécialiste du Moyen-Orient à l’université britannique de Durham. « Ils ont commencé par les jeunes, maintenant ils s’attaquent aux Frères musulmans », affirme-t-il. « Cela relève avant tout d’une stratégie politique pensée de façon sérieuse par l’institution militaire, qui essaie de garder la totalité des options ouvertes quel que soit le résultat de la présidentielle », souligne Mathieu Guidère, spécialiste du monde musulman à l’université de Toulouse (France). « Le cadre juridique général de toute cette affaire est bancal », même s’il n’y a pas à ce stade de « coup d’État », ajoute-t-il.

 

« Avec ces jugements de la Cour, nous sommes face à un coup institutionnel » qui renforce la donne en faveur de l’armée, dit Abdallah el-Sinawy, écrivain et commentateur politique égyptien. « Si le candidat des Frères musulmans échoue à la présidentielle, le revers sera d’autant plus dur pour les islamistes qu’ils seront aussi affaiblis sur le front parlementaire », affirme-t-il. Pour Antoine Basbous, qui dirige l’Observatoire des pays arabes à Paris, « on assiste à une restauration déguisée » du système de pouvoir militaro-politique égyptien. « L’armée égyptienne n’est pas prête à lâcher le pouvoir et à voir des islamistes jeter des généraux en prison, comme en Turquie, et renvoyer les militaires dans leurs casernes », souligne-t-il.

 

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