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À La Une - Le point

Une journée (pas si) normale

Parce qu’elles peuvent être assaisonnées à toutes les sauces et racontées un nombre incalculable de fois, certaines histoires vieillissent très bien. Celle-ci par exemple, qui parle d’un scorpion désespérant, parce qu’il ne sait pas nager, de pouvoir franchir une mare et qui réclame l’aide d’une grenouille. Laquelle lui répond : « Mais tu pourrais me piquer... » L’arthropode proteste de sa bonne foi et fait valoir qu’il ne saurait ainsi mettre sa propre vie en danger. Va donc pour la traversée, au milieu de laquelle il pique la grenouille qui s’écrie : « Mais pourquoi as-tu fait cela ? Nous allons mourir tous les deux. » Réponse : « Je n’ai pu me retenir, je suis un scorpion. »


Au lendemain du premier tour des législatives françaises, on retiendra la « capacité de nuisance » des deux extrêmes (Front national, Front de gauche) et du centriste Bayrou (MoDem) qui n’a pas su, ou voulu, retenir le conseil du jeune Philippe le Hardi à son géniteur, Jean le Bon, lors de la bataille de Poitiers : « Père, gardez-vous à droite, père, gardez-vous à gauche », choisissant de donner sa voix – celle aussi, probablement de nombre de ses partisans – à François Hollande. Résultat : un score misérable de 23,63 pour cent contre 34,90 pour cent à la socialiste Nathalie Chabanne dans la deuxième circonscription des Pyrénées-Atlantiques et un aveu en forme d’autocritique : « Les raisons de ce résultat sont très claires. Une partie importante de mon électorat traditionnel n’a pas compris ni accepté ma décision au soir du 22 avril dernier. » Bien vu, le Béarnais, mais un peu tard. Pour ce qui est de son Mouvement démocrate, les faire-part sont d’ores et déjà prêts.


Dans le duel FN-Front de gauche, donné par avance comme l’un des moments forts de la journée, il n’y a pas eu photo : la vague bleue s’est transformée en tsunami et Jean-Luc Mélenchon a ramassé un bouchon, dirait le regretté Frédéric Dard. Éliminé, l’ogre flamboyant qui voulait bouffer du capitaliste et marquer de son style une époque qui ne rêve plus que de grisaille. À Hénin-Beaumont, son Trafalgar, il n’en menait pas large, appelant ses troupes, « le cœur paisible », à « ne pas se laisser abattre ». Ses adversaires (il préfère parler de « concurrents ») donnent dans la férocité, telle cette étudiante qui lâche, un brin rancunière : « Bien fait pour lui ; il n’est pas de chez nous. Demandez-lui donc ce que c’est le bassin minier... » Face à l’ogre soudain édenté, la fille de son père a frôlé la majorité, soit 48 pour cent, ce qui représente un sacré progrès : près du double de son score des dernières législatives, quand elle avait fait 24 pour cent. Elle peut donc jubiler, se payer le luxe de porter l’estocade au leader du FdG – « Il est totalement déconnecté des classes populaires » – et donner rendez-vous, « à tous les électeurs qui veulent une vraie opposition, dimanche prochain pour faire entrer le peuple à l’Assemblée ».


Las ! Le peuple devra faire montre de moins d’ambition car en supposant que le Palais-Bourbon soit investi, dans six jours, par les bouillants partisans de la Pucelle, ils ne seront pas si nombreux : pas plus de trois élus de la Nation, selon les prévisions les plus optimistes, et probablement moins.


Il reste à voir si, pour le parti jadis fondé par Jean-Marie Le Pen, la politique du ni-ni (ni UMP ni PS) sera payante. Et surtout si les postures peuvent indéfiniment tenir lieu de prises de position. On pense à l’oukase qui a frappé hier le malheureux Georges Tron, classé dans la catégorie des « affreux », dont « la défaite serait (foi de Marine) dans l’intérêt supérieur de la France ». Pas moins.


Une conséquence, inattendue en apparence seulement, de cette guéguerre est que l’ultra-droite va être présente dans une soixantaine des 577 circonscriptions, avec un total de 32 triangulaires et une vingtaine de duels avec la gauche. Laquelle, en voyant, comme cela est prévu, 20 pour cent de ses effectifs passer dans le camp ennemi, devrait s’interroger sur certains aspects pervers de la démocratie. Où va-t-on, en effet, si le bleu Marine se teinte de rouge et si l’un et l’autre représenteront moins d’une vingtaine de parlementaires, au soir d’un combat qui les laissera exsangues ?


Bilan : un centre laminé, des extrêmes qui se touchent mais finissent par se neutraliser, un pouvoir qui détient la majorité au Sénat et demain à l’Assemblée nationale, sans compter 21 et 22 conseils généraux... Ségolène Royal – laquelle, soit dit en passant, pourrait voir lui échapper La Rochelle, et du même coup le perchoir – parlerait à ce propos de normalitude.

Parce qu’elles peuvent être assaisonnées à toutes les sauces et racontées un nombre incalculable de fois, certaines histoires vieillissent très bien. Celle-ci par exemple, qui parle d’un scorpion désespérant, parce qu’il ne sait pas nager, de pouvoir franchir une mare et qui réclame l’aide d’une grenouille. Laquelle lui répond : « Mais tu pourrais me piquer... »...
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