Rechercher
Rechercher

À La Une - Éclairage

Les données téléphoniques, une polémique sur fond politique...

Au-delà de la polémique provoquée par la tentative d’assassinat du chef des Forces libanaises, qui reflète une fois de plus l’ampleur du fossé qui sépare les deux camps politiques au Liban, ce dossier a provoqué aussi « des dommages collatéraux » en remettant sur la sellette la question des « datas » (bases de données) des télécommunications.

 

Il y a moins de deux mois, cette même question s’était déjà posée lorsqu’il avait été question d’une tentative d’assassinat déjouée contre un responsable des FSI et même d’une autre contre le député Samy Gemayel. Aucun détail n’avait été fourni et aucun communiqué officiel n’avait été publié à ce sujet, mais les fuites dans différents médias avaient suffi à lancer une polémique sur les « datas » des télécommunications, le camp du 14 Mars accusant clairement le ministre des Télécommunications Nicolas Sehnaoui (membre du CPL) de refuser de remettre aux services de sécurité les détails des communications téléphoniques, entravant ainsi l’enquête.

 

Le même scénario se reproduit aujourd’hui avec insistance, alors que le ministre Sehnaoui a expliqué qu’il n’a pas le pouvoir de décider de donner toutes les informations à un service de sécurité depuis la décision du Conseil des ministres du 1er février 2012.


Un rapide retour sur les faits s’impose, car les informations téléphoniques sont devenues un élément crucial dans toutes les enquêtes sur les actions terroristes et les réseaux clandestins. Il est donc nécessaire de rappeler certains faits.

 

Il faut ainsi savoir qu’il existe deux genres de demandes d’informations téléphoniques. Il y a d’abord celles qui sont présentées par les différents services de sécurité du Liban (services de renseignements de l’armée, Sûreté générale, FSI et Sûreté de l’État) quotidiennement et qui sont relatives à des questions de sécurité. Le ministre des Télécommunications en reçoit des dizaines chaque jour et il les signe automatiquement sans même regarder les détails des numéros concernés, car ces demandes portent sur des numéros précis. Le ministre des Télécoms en reçoit pratiquement 300 par mois et il n’en a jamais refusé une, car il s’agit souvent pour les services de sécurité de suivre une piste ou de pouvoir trouver des éléments précis pour une enquête en cours... ce n’est donc pas sur ces demandes que porte la polémique sur les informations téléphoniques.

 

Ce que lui ont reproché il y a quelques mois et que lui reprochent aujourd’hui les membres du 14 Mars de ne pas donner, c’est l’ensemble des informations téléphoniques portant sur les 3 400 000 abonnés du réseau de téléphonie mobile au Liban (qu’on appelle « all data »). Ces données permettent de savoir qui a appelé qui, qui a envoyé un SMS à qui et qui était avec qui de tous ceux qui possèdent un téléphone cellulaire, 24h sur 24.

 

De plus, ces données permettent aussi à ceux qui les détiennent de cloner la carte SIM des abonnés et de l’utiliser à l’insu de ses propriétaires initiaux, pouvant ainsi fabriquer des conversations téléphoniques. On sait la délicatesse de ce sujet depuis la polémique sur les communications téléphoniques entre le Hezbollah et le TSL. Mais surtout, toute cette masse d’informations ouvre en grand le débat sur le respect des libertés individuelles consacrées par la Constitution...

 

Malgré cela, le ministre des Télécommunications a donné chaque jour l’ensemble de ces données aux FSI pendant neuf mois... Jusqu’au jour où il a été convoqué ainsi que son collègue de l’Intérieur devant la commission parlementaire des Télécommunications. Des députés membres de cette commission se plaignaient en effet de la violation de la vie privée et des droits individuels par le biais de la communication de toutes ces données aux services de sécurité. Le ministre de l’Intérieur, Marwan Charbel, a alors abondé dans le sens des députés et le président de la commission Hassan Fadlallah avait déclaré à la presse qu’un accord était intervenu pour cesser de donner l’ensemble des informations aux services de sécurité. Trois jours plus tard, il était question d’une tentative d’assassinat contre un responsable sécuritaire et le ministre des Télécommunications était accusé de refuser de fournir ces informations qui pourraient être utiles pour trouver des pistes. Le ministre Sehnaoui décide alors de donner l’ensemble de la data pour la journée où la tentative aurait eu lieu et ensuite de s’en référer au Conseil des ministres.

 

Au cours de sa réunion du 1er février 2012 et après un débat d’une heure trente, le Conseil des ministres décide que les demandes de toutes les informations téléphoniques doivent être déférées devant une commission judiciaire indépendante qui, elle, prendra la décision qu’elle jugera nécessaire. Le ministre des Télécommunications n’a donc aucune autorité sur ce dossier. La commission judiciaire est formée de trois juges : Aouni Ramadan, Chucri Sader et Hatem Madi. C’est donc à cette commission que les services de sécurité doivent adresser leur demande et... le 14 Mars ses critiques. Le 21 mars 2012, cette commission avait ainsi décidé à l’unanimité de ses membres de rejeter une demande qui lui a été adressée, estimant qu’elle « ne sert pas à la poursuite et le démantèlement des réseaux terroristes et qu’elle constitue de plus une atteinte aux libertés individuelles consacrées par la Constitution... ».

 

C’est donc vers cette commission qu’il faut se tourner, le ministre des Télécommunications n’étant pas l’autorité compétente pour refuser ou accepter ce genre de demande, quelle que soit la nature du crime ou l’identité de la cible... C’est dire que la polémique sur les données téléphoniques est essentiellement politique et vise surtout à alimenter le conflit entre le CPL et le 14 Mars...

Au-delà de la polémique provoquée par la tentative d’assassinat du chef des Forces libanaises, qui reflète une fois de plus l’ampleur du fossé qui sépare les deux camps politiques au Liban, ce dossier a provoqué aussi « des dommages collatéraux » en remettant sur la sellette la question des « datas » (bases de données) des télécommunications.
 
Il y a moins de...

commentaires (0)

Commentaires (0)

Retour en haut