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Redevenir libanais : comment s’y prendre ?

Le « Liban-message », un universel concret

Comment peut-on être à la fois « moins qu’un pays » et « plus qu’un pays » ?

Jeunes Américains d’ascendance libanaise, lors d’une rencontre avec le patriarche Raï.

Ce sont d’abord les maronites que cherche à servir la Fondation maronite dans le monde. Il est évident, toutefois, que le projet de loi, comme tout projet de loi qui se respecte, sert l’intérêt de tous les Libanais et, par extension, de la « formule libanaise » elle-même. On pourrait dire même que c’est là son but principal.
Nul mieux que Jean-Paul II n’a parlé de cette formule libanaise, véritable vocation historique d’un Liban considéré comme étant « plus qu’un pays, un message ». Un message de pluralisme, d’acceptation de l’autre, de fraternité entre les fidèles de diverses croyances religieuses. C’est là le « message » que le Liban est appelé à faire parvenir à un monde où les crispations identitaires menacent la paix civile. Cette fraternité, ce véritable art de vivre ensemble, concerne au Liban les musulmans et les chrétiens. Transposé sous d’autres cieux, il pourrait concerner sunnites et chiites, juifs et musulmans, Wallons et Flamands, hindous et sikhs, Hutus et Tutsis, animistes et chrétiens, catholiques et protestants, Serbes et Croates, Blancs et Noirs, etc.

Deux lois distinctes
Sensible aux exigences d’un relatif équilibre numérique, le Liban obéit à deux lois distinctes : celle des pays et celle des messages. Certes, comme pays, le Liban ne diffère en rien des autres réalités et constructions humaines, avec ses hauts et ses bas, ses noblesses et ses petitesses, sa prospérité et sa pauvreté, ses institutions et son désordre.
C’est en sa qualité de « pays-message » que le Liban se hisse au rang d’un « universel concret », et c’est pourquoi il ne paraît pas si contradictoire, comme nous le faisons tous les jours, de pester contre le Liban, de le considérer comme étant « moins qu’un pays », tout en continuant à y croire comme modèle de convivialité humaine, de respect des croyances d’autrui ou, à tout le moins, d’un « vivre et laisser vivre » d’essence religieuse qui fonde une douceur d’être une seule famille humaine bariolée.
Voilà, et il n’est pas exagéré de le dire, parce qu’elle vit au fond de la conscience de ses fondateurs, la raison d’être de la Fondation maronite dans le monde, et celle de ce projet de loi qu’elle tente de faire vivre, envers et contre toutes les pesanteurs communautaristes qui nous tirent vers le bas.

Un modèle menacé
À ceux qui l’accusent d’exaltation, la Fondation maronite dans le monde répond qu’en cherchant à rattacher les chrétiens au Liban – principalement les maronites, mais pas seulement, car toutes les communautés profitent de ses services – elle ne fait qu’œuvrer pour un modèle de société menacé et même miné par le flux migratoire qui draine sa population, en particulier ses chrétiens, vers les pays industrialisés ou vers les pays dont le potentiel économique garantit un meilleur niveau de vie, la sécurité sociale et/ou la sécurité de l’emploi.
De fait, toutes les communautés profiteront du projet de loi de la Fondation maronite dans le monde, qui s’efforce de motiver les émigrés – ce n’est pas facile – en soulignant les avantages de la nationalité libanaise. Avantages politiques, culturels, sociaux et religieux, avantages économiques, fiscaux et fonciers, ouverture sur l’Orient et l’Occident, etc. De fait, quel chrétien ne serait pas enchanté de vivre dans un pays foulé par les pieds du Christ ? Quel homme d’affaires ne voudrait pas profiter des avantages du secret bancaire ? Quel investisseur dédaignerait le marché libanais et arabe ? Inversement, est-il juste de demander à la riche diaspora libanaise d’investir au Liban ou de continuer à y envoyer des fonds, sans lui accorder en échange les droits que lui assure la nationalité ?

Une vision diachronique
Il faut donc se féliciter de ce que le président de la Chambre, Nabih Berry, ait aujourd’hui saisi l’importance nationale et non pas étroitement communautaire de ce projet de loi, et décidé de le transmettre pour approbation aux commissions réunies. Car enfin, même si l’initiative de cette loi est d’inspiration maronite, il n’y a vraiment aucun risque de la voir provoquer un basculement de l’équilibre démographique au Liban en faveur des chrétiens. En revanche, elle pourrait contribuer à dépolitiser l’identité libanaise, à corriger – ne serait-ce que nominalement – l’actuel déséquilibre démographique en faveur des musulmans provoqué en partie par la loi de naturalisations de 1992, qui a avantagé numériquement les musulmans, et dont on cherche aujourd’hui à corriger les nombreuses irrégularités. In fine, ce projet ne peut que conforter le respect du principe de parité instauré par l’accord de Taëf, dans la fidélité à l’esprit de la « formule libanaise ».
De fait, à l’heure où l’on tente d’écrire une histoire « unifiée » du Liban – un projet sur lequel il faudra revenir, puisqu’une « histoire officielle » risque d’être une histoire idéologique – c’est d’une perception diachronique du Liban que nous avons besoin. Une perception synchronique de notre identité nationale risque en effet de provoquer l’éclatement du Liban, pays composé, société religieusement hétérogène, dans la mesure où la majorité numérique du moment risque de dicter, à chaque époque, une identité différente, ce qui serait absurde et contraire à notre vocation historique.
D’où la nécessité d’une vision diachronique de notre identité, de sorte que notre identité profonde, la conscience que nous en avons, reste repérable, à travers les différentes époques et étapes qui ont marqué notre histoire et la genèse du Liban contemporain. L’identité du Liban ne doit pas varier au gré des fluctuations démographiques et/où de sa composition communautaire présente ou future. Le « Liban-message » doit rester notre spécificité et notre raison d’être, et son édification la « tâche commune » de toutes les communautés dont parle l’Exhortation apostolique.

F.N.
Ce sont d’abord les maronites que cherche à servir la Fondation maronite dans le monde. Il est évident, toutefois, que le projet de loi, comme tout projet de loi qui se respecte, sert l’intérêt de tous les Libanais et, par extension, de la « formule libanaise » elle-même. On pourrait dire même que c’est là son but principal.Nul mieux que Jean-Paul II n’a parlé de...