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Couverture spéciale de la révolte en Égypte - Analyse

Que veulent les généraux égyptiens ?

« Ceux qui ont la majorité à l’Assemblée du peuple sont les bienvenus, parce qu’ils n’auront pas la capacité d’imposer ce que le peuple ne veut pas. » C’est ce qu’a déclaré le général Mokhtar al-Mulla, un membre du Conseil suprême des forces armées d’Égypte (CSFA). Le message d’al-Mulla signifiait que la victoire des islamistes aux dernières élections en Égypte ne leur donnait ni la puissance exécutive ni le pouvoir d’instituer une nouvelle Constitution. Mais le général Sami Anan, chef d’état-major et chef en second du CSFA, a rapidement répliqué que la déclaration d’al-Mulla ne représentait pas nécessairement les vues officielles du Conseil.


Ainsi, un an après la révolution qui a renversé Hosni Moubarak, qui exactement va définir les orientations politiques de l’Égypte ? La victoire électorale de l’aile politique des Frères musulmans et des partis salafistes, qui ensemble ont gagné plus de 70 % des sièges parlementaires, leur donnera une forte influence pendant la période de transition et la rédaction de la Constitution. Mais ils ne sont pas les seuls. En dehors des islamistes, deux autres acteurs puissants auront leur mot à dire : les « tahriristes » et les généraux.


L’activisme de la place Tahrir a non seulement provoqué le changement social et politique, mais a également servi de moyen de pression prodémocratique sur les dirigeants militaires de l’Égypte. En effet, alors que l’armée, le plus puissant des trois acteurs, commande toujours officiellement le pays, peu de personnes croient en un engagement des généraux pour la démocratie. « Ou bien le CSFA est contre la démocratie, ou bien certains de ses conseillers ont dit que la démocratie ne servirait pas ses intérêts », a affirmé Hazem Abd al-Azim, un responsable désigné dans le premier gouvernement post-Moubarak. Si les généraux ne veulent pas la démocratie, ils ne veulent pas non plus d’un régime militaire direct comme celui d’Augusto Pinochet. Alors que veulent-ils ? Dans le meilleur des cas, ils voudraient combiner la puissance actuelle de l’armée algérienne avec la légitimité de l’armée turque. Cela implique un Parlement aux pouvoirs limités, une présidence faible subordonnée à l’armée, et des prérogatives constitutionnelles qui légitiment l’intervention de l’armée dans la politique. Le minimum qu’ils exigent ressort des rapports des généraux al-Mulla, Mamdouh Shahim et Ismail Etman, entre autres. Cela consisterait à mettre un droit de veto sur les grandes questions politiques, l’indépendance du budget de l’armée et sur un vaste empire économique, ainsi que l’immunité légale sur les poursuites pour corruption ou répression, et des prérogatives constitutionnelles pour garantir ces arrangements.


Le nouveau Parlement et l’Assemblée constitutionnelle devront ouvrir des négociations avec le CSFA. Mais étant donné que toute transition démocratique réussie doit comprendre un contrôle civil des forces armées et des organes de sécurité, les exigences minimales du CSFA pourraient rendre le processus sans effet.
Le veto sur les grandes questions politiques porterait sur tous les problèmes relatifs à la sécurité nationale ou à la politique étrangère sensible, la plus importante étant la relation avec Israël. Avec une majorité islamiste au Parlement promettant « de mettre à jour » l’accord de paix avec l’Israël, les tensions en politique étrangère vont très probablement s’accentuer. L’empire militaire et commercial indépendant, avantagé par des coutumes et des taux de change préférentiels, non imposables, des droits de confiscation des terres et une armée à la main-d’œuvre quasi gratuite (soldats appelés), est une autre question épineuse. Avec une économie égyptienne en difficulté, les politiciens élus devraient chercher à améliorer ces conditions en jouant contre les capitaux civils des militaires – à savoir, en révisant les tarifs préférentiels et en exigeant une forme d’imposition. L’immunité judiciaire est un problème tout aussi préoccupant. « Le feld-maréchal devrait maintenant être en prison », a crié l’élu gauchiste MP, Abou Ezz al-Hariri, au deuxième jour de la nouvelle session parlementaire. Quand Mahmoud Ghozlan, le porte-parole des Frères musulmans, a proposé l’immunité (connue en Égypte sous le nom d’option de « sortie de sécurité »), il a essuyé une violente vague de critiques.


La pression des États-Unis a également influencé la prise de décision du CSFA. « Les institutions militaires reçoivent 1,3 milliard de dollars des USA. Elles sont très sensibles aux demandes des USA », selon Saadeddin Ibrahim, qui a incité l’administration Obama à soutenir la révolution en janvier 2011. Mais la plupart des décisions prodémocratiques du CSFA ont résulté de la pression massive de la place Tahrir. Ceci inclut la déposition de Moubarak, son procès (et celui d’autres personnalités du régime), et l’avancement de la date de l’élection présidentielle de 2013 à juin 2012.


Deux autres facteurs ont autant, sinon plus, d’influence : le statu quo hérité de l’ère Moubarak et la cohésion interne de l’armée. À peu d’exceptions, les membres du CSFA ont bénéficié de manière significative du régime de Moubarak. Ils essaieront de le préserver autant que possible. « Les images d’officiers en uniforme manifestant sur la place Tahrir et parlant sur al-Jazira inquiète vraiment le feld-maréchal », m’a dit un ancien dirigeant. Et une façon de maintenir la cohésion interne est de créer des « diables » – une leçon apprise « des guerres sales » en Algérie dans les années 1990 et en Argentine dans les années 1970 et les années 1980. Les manifestants coptes sont précisément une cible facile contre laquelle rassembler les soldats et les dirigeants. En octobre dernier, à l’occasion d’une escalade inutile de violence sectaire, la télévision d’État a diffusé les images d’un soldat égyptien hospitalisé criant : « Les coptes ont tué mon compagnon d’armes ! » La diabolisation systématique des groupes de tahriristes et l’escalade violente qui en a résulté en novembre et décembre, ont visé le même objectif.


Malgré tout, l’Égypte démocratique n’est pas une vue de l’esprit. Il y a un an, Saad al-Kétatni, le chef des Frères musulmans, n’aurait jamais rêvé d’être le porte-parole du Parlement. Cela est aussi vrai concernant les gauchistes et les libéraux, qui détiennent aujourd’hui près de 20 % des sièges au Parlement.


Si 2011 a été témoin du miracle de la déposition de Moubarak, une courageuse affirmation de soi, l’institution d’un Parlement, couplée à la pression non institutionnelle des tahriristes, pourrait forcer les généraux à accepter un transfert du pouvoir à un gouvernement civil (avec quelques domaines réservés pour l’établissement de l’armée) en 2012. Ce qui est sûr, c’est que cette année ne sera pas témoin d’un retour aux conditions de 2010. L’Égypte peut rester bloquée dans la voie lente de la démocratisation, mais il n’y aura pas de volte-face. Les centaines de milliers de personnes qui ont marché vers la place Tahrir pour l’anniversaire de la révolution en sont les garants.

*Omar Ashour a obtenu une bourse d’étudiant étranger au Brookings Doha Center et dirige les études sur le Moyen-Orient à l’Institut des études arabes et islamiques de l’Université d’Exeter. Il est l’auteur de The De-Radicalization of Jihadists : Transforming Armed Islamist Movements.

© Project Syndicate, 2012.

« Ceux qui ont la majorité à l’Assemblée du peuple sont les bienvenus, parce qu’ils n’auront pas la capacité d’imposer ce que le peuple ne veut pas. » C’est ce qu’a déclaré le général Mokhtar al-Mulla, un membre du Conseil suprême des forces armées d’Égypte (CSFA). Le message d’al-Mulla signifiait que la victoire des islamistes aux dernières élections en Égypte...