Mroueh se présente donc selon un schéma devenu familier. Sombrement et sobrement vêtu, il s’installe derrière une table ou trônent ordinateur et papiers épars, éclairés par une lampe de bureau. À sa droite, un écran où sont projetées phrases, photos ou séquences vidéos, visant à corroborer ses propos.
Loin de son audace espiègle habituelle, ou de son légendaire humour aiguisé, Mroueh est apparu dans cette conférence-performance comme un être humain sensible, sérieux au possible. Qu’il soit blessé ou choqué par la quasi-indifférence des gens face aux tueries perpétrées au quotidien dans ce pays voisin, ou encore perplexe devant l’absence totale de couverture médiatique professionnelle, Mroueh ne laisse rien transparaître de ses sentiments. Excellent discoureur, maître de ses effets, de ses intonations et de ses silences, il dissèque d’une manière presque scientifique ces vidéos que l’on visionne sur Internet et qui montrent les manifestants aux prises avec les forces de l’ordre syriennes. Il s’arrête notamment sur une en particulier, montrant un «témoin» filmant, à l’aide de son téléphone portable, un sniper guettant ses victimes au détour d’une ruelle. Et, repérant le témoin en question, le franc-tireur le vise et l’abat en moins d’une seconde.
«Le peuple syrien filme sa propre mort»: cette phrase s’affiche sur l’écran. L’assistance se fige. Pas un murmure, pas un «ouf!» ne se font entendre. Glacé, le public assiste alors, une quarantaine de minutes durant, à une intervention culturelle, certes, mais ouvertement politique sur ces activistes anonymes qui, chaque jour, risquent leur vie et meurent parfois pour filmer les manifestations et la répression, et transmettre ces images au monde entier.
Suivant sa méthode de travail, Mroueh prend à parti le public, raconte une histoire personnelle, ajoute un élément fictionnel, soulève des questions esthétiques et éthiques, et établit un manifeste (suivez l’ironie) pour ces vidéos d’amateurs, comparable, selon lui, au manifeste du Dogme 95, écrit par Lars von Trier et Thomas Vinterberg.
Mroueh rend alors indirectement hommage à l’ingéniosité et au courage de ces cameramen de l’ombre qui meurent pour Youtube ou Facebook.
À travers sa conférence, Rabih Mroueh rend indubitablement compte de l’atmosphère de terreur qui règne dans un pays ou le bilan humain ne cesse de s’alourdir. Une chose semble sûre: dans son face-à-face avec la kalachnikov, la caméra numérique n’a pas encore dit son dernier mot.
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