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Culture - Conférence

Ces cameramen de l’ombre qui meurent pour Youtube

L’iconoclaste Rabih Mroueh a soulevé, au cours d’une conférence-performance à Ashkal Alwane (Jisr el-Wati), la question de la révolution pixellisée en Syrie, ou ces images clandestines tachées de sang postées sur Internet.

Excellent discoureur, maître de ses effets, de ses intonations et de ses silences, Rabih Mroueh dissèque le duel kalachnikov-caméra. (Photo Joe Namy)

Metteur en scène qui se met en scène, acteur qui se joue des représentations, artiste pétri d’humanité, Rabih Mroueh guette les anomalies ambiantes et les attrape au vol. Idem pour l’événement politique ou le courant social du moment. Normal, donc, que ce jeune homme aux boucles brunes mousseuses s’intéresse aux actualités du printemps arabe. Après une installation réalisée à Londres de mars à mai 2011 (dans le cadre de son premier show solo en Grande-Bretagne, produit par le Institute of International Visuel Arts, Invia), intitulée «The People Are Demanding» (Le peuple demande) et qui avait pris la forme de mots de révolte apposés sur les vitres de Rivington Place Gallery, des mots en référence au slogan «al-cha3bou yourid» brandi par les révolutionnaires en Tunisie et en Égypte, le voilà donc qu’il se tourne vers les événements actuels en Syrie. Sur les lettres électroniques d’invitation, il était bien indiqué qu’il s’agissait là d’une conférence non-académique autour de «la révolution pixellisée syrienne».
Mroueh se présente donc selon un schéma devenu familier. Sombrement et sobrement vêtu, il s’installe derrière une table ou trônent ordinateur et papiers épars, éclairés par une lampe de bureau. À sa droite, un écran où sont projetées phrases, photos ou séquences vidéos, visant à corroborer ses propos.
Loin de son audace espiègle habituelle, ou de son légendaire humour aiguisé, Mroueh est apparu dans cette conférence-performance comme un être humain sensible, sérieux au possible. Qu’il soit blessé ou choqué par la quasi-indifférence des gens face aux tueries perpétrées au quotidien dans ce pays voisin, ou encore perplexe devant l’absence totale de couverture médiatique professionnelle, Mroueh ne laisse rien transparaître de ses sentiments. Excellent discoureur, maître de ses effets, de ses intonations et de ses silences, il dissèque d’une manière presque scientifique ces vidéos que l’on visionne sur Internet et qui montrent les manifestants aux prises avec les forces de l’ordre syriennes. Il s’arrête notamment sur une en particulier, montrant un «témoin» filmant, à l’aide de son téléphone portable, un sniper guettant ses victimes au détour d’une ruelle. Et, repérant le témoin en question, le franc-tireur le vise et l’abat en moins d’une seconde.
«Le peuple syrien filme sa propre mort»: cette phrase s’affiche sur l’écran. L’assistance se fige. Pas un murmure, pas un «ouf!» ne se font entendre. Glacé, le public assiste alors, une quarantaine de minutes durant, à une intervention culturelle, certes, mais ouvertement politique sur ces activistes anonymes qui, chaque jour, risquent leur vie et meurent parfois pour filmer les manifestations et la répression, et transmettre ces images au monde entier.
Suivant sa méthode de travail, Mroueh prend à parti le public, raconte une histoire personnelle, ajoute un élément fictionnel, soulève des questions esthétiques et éthiques, et établit un manifeste (suivez l’ironie) pour ces vidéos d’amateurs, comparable, selon lui, au manifeste du Dogme 95, écrit par Lars von Trier et Thomas Vinterberg.
Mroueh rend alors indirectement hommage à l’ingéniosité et au courage de ces cameramen de l’ombre qui meurent pour Youtube ou Facebook.
À travers sa conférence, Rabih Mroueh rend indubitablement compte de l’atmosphère de terreur qui règne dans un pays ou le bilan humain ne cesse de s’alourdir. Une chose semble sûre: dans son face-à-face avec la kalachnikov, la caméra numérique n’a pas encore dit son dernier mot.
Metteur en scène qui se met en scène, acteur qui se joue des représentations, artiste pétri d’humanité, Rabih Mroueh guette les anomalies ambiantes et les attrape au vol. Idem pour l’événement politique ou le courant social du moment. Normal, donc, que ce jeune homme aux boucles brunes mousseuses s’intéresse aux actualités du printemps arabe. Après une installation...

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