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Santé

Réel espoir ou simple battage médiatique pour une médecine personnalisée ?

Par Henry I. MILLER

Henry Miller, physicien et biologiste moléculaire, est chercheur en philosophie scientifique et en politique publique à l’Institut Hoover de l’Université Stanford et ancien directeur fondateur de l’Office de biotechnologie de la Food and Drug Administration.

Au cours des dernières décennies, les traitements pour un grand nombre de maladies ont évolué d’une approche « taille unique » vers une stratégie plus personnalisée. En conséquence, les patients peuvent désormais se voir adapter le meilleur médicament selon leur profil génétique ou la sous-catégorie précise de leur maladie. Cela permet aux médecins d’éviter la prescription d’un médicament (ou un dosage) qui pourrait entraîner de graves effets secondaires sur certaines populations.
En d’autres termes, chaque patient d’un groupe souffrant apparemment de la même maladie et des mêmes symptômes recevrait un traitement qui serait déterminé par différents tests prédictifs ou pronostics. À terme, ces tests pourraient même s’étendre au séquençage de l’ADN des cellules cancéreuses d’un individu donné, par exemple.
Mais une approche aussi pointue, même si elle est une aubaine pour les patients, pourrait s’avérer dramatique pour les performances économiques des entreprises pharmaceutiques. Les raisons à cela sont subtiles.
Les traitements pharmaceutiques personnalisés utilisent des indicateurs biologiques, ou « biomarqueurs » – comme le séquençage de l’ADN, ou la présence ou l’absence de récepteurs de médicaments – pour déterminer le type de traitement adapté pour les patients, ainsi que pour estimer les probabilités de l’efficacité du traitement retenu. Ce concept n’est pas nouveau : on sait depuis des décennies, par exemple, que les individus qui ont un déficit génétique d’un enzyme appelé G6PD peuvent souffrir d’une anémie grave et précipitée s’ils sont soumis à certains
médicaments.
De même, les groupes ethniques et les individus diffèrent largement dans leur capacité à éliminer les médicaments de leur système sanguin, compte tenu des différences d’activités des enzymes qui métabolisent, ou dégradent, ces médicaments. C’est important parce que ceux dont le métabolisme est plus lent éliminent certains traitements plus lentement et les préservent donc plus longtemps dans leur système que ceux qui métabolisent plus rapidement. Donc, pour un même médicament, les premiers peuvent être sujets à une overdose, tandis que les seconds à une insuffisance de traitement.
Les biomarqueurs pronostics font progressivement une différence significative dans la thérapie contre le cancer. Les médicaments comme l’Erbitux et le Vectibix ne fonctionnent que sur les tumeurs contenant une version normale du gène appelé KRAS. Ces traitements sont inefficaces en cas de mutations avérées du KRAS.
De telles mutations expliquent environ 30 à 40 % des cas dans lesquels les patients ne réagissent pas à ces traitements, et les mutations d’autres gènes appelés BRAF pourraient expliquer 12 % d’autres cas d’échecs. Ce type d’information cruciale sur les gènes d’un patient atteint d’un cancer réduira substantiellement le nombre de ceux qui seront inutilement soumis aux effets secondaires (et aux dépenses) de traitements qui ne fonctionneront pas.
Améliorer l’efficacité et réduire les effets secondaires des traitements sera une aubaine pour les médecins, les patients et les compagnies d’assurances, bien sûr. Mais pourquoi les entreprises pharmaceutiques se lanceraient-elles dans une médecine personnalisée sur le long terme ?
Le point positif est que la présence de biomarqueurs permettra aux entreprises pharmaceutiques de réaliser des études cliniques plus réduites et mieux ciblées pour prouver l’efficacité de leurs médicaments. Un principe fondamental de toute expérimentation est que la confiance placée dans les résultats de l’étude est à la mesure du nombre de sujets ou d’itérations étudiés. À moins d’un réel effet de l’intervention, les petites études laissent généralement de grandes incertitudes quant à leurs
résultats.
D’où l’importance des biomarqueurs. Ils peuvent aider les fabricants de médicaments à concevoir des études cliniques qui montreront une forte « différence relative de traitement » entre le médicament et le comparatif choisi (souvent un placebo, mais parfois un autre traitement.)
Donc, lorsque les médicaments sont finalement approuvés sur la base de l’utilisation de biomarqueurs, la description de leurs usages approuvés, imprimée sur la boîte, peut s’avérer plus restrictive – autrement dit, cela peut réduire la taille de la population de patients pour lesquels ce médicament est destiné. Par exemple, un médicament généralement admis pour traiter l’arthrite – inflammation des articulations pouvant résulter de dizaines de maladies différentes – peut être plus largement commercialisé qu’un autre approuvé pour traiter la seule arthrite induite par le psoriasis ou la goutte.
La situation est en réalité plus complexe, cependant. Les évaluations d’innocuité et d’efficacité ne sont pas toujours étroitement réalisées en tandem, ce qui fait que même si des essais à plus petite échelle et mieux ciblés présentent des preuves évidentes de l’efficacité d’un médicament, les régulateurs pourraient exiger des études à bien plus grande échelle pour confirmer son innocuité.
De plus en plus sur la défensive face aux accusations concernant une insuffisance de tests sur l’innocuité des médicaments et des vaccins, les régulateurs, obsédés par la sécurité ces dernières années, ont exigé des tests cliniques à grande échelle, extrêmement coûteux et longs pour détecter jusqu’aux effets secondaires les plus rares. Par exemple, avant d’être approuvé par les États-Unis, un vaccin contre le rotavirus (une infection gastro-intestinale commune mais pouvant être mortelle chez les enfants) a été testé sur plus de 72 000 enfants – et sur 40 000 personnes supplémentaires dans le cadre d’études postmarketing.
Sur une échelle similaire, un vaccin préventif contre le papillonna virus humain et le cancer du col de l’utérus a été testé sur près de 30 000 jeunes femmes. De telles études sont très coûteuses, et l’on peut raisonnablement dire que le nombre de patients testés est bien trop excessif.
Donc, l’impact à court terme d’une médecine personnalisée pourrait être positif du point de vue du patient, mais les vastes études cliniques réalisées pour démontrer l’innocuité d’un nouveau médicament entraîneraient d’énormes coûts de développement que les fabricants ne récupéreront probablement jamais (actuellement, seul un médicament sur cinq approuvé par les régulateurs américains récupère ses coûts de développement). Cette situation ne serait pas viable à long terme.
Si la société veut tirer un bénéfice maximum d’une médecine personnalisée – ce qui exigerait des entreprises qu’elles poursuivent dans cette voie –, les régulateurs partout dans le monde devront adopter des mesures raisonnables et raisonnées.

© Project Syndicate 2011. Traduit de l’anglais par Frédérique Destribats.
Au cours des dernières décennies, les traitements pour un grand nombre de maladies ont évolué d’une approche « taille unique » vers une stratégie plus personnalisée. En conséquence, les patients peuvent désormais se voir adapter le meilleur médicament selon leur profil génétique ou la sous-catégorie précise de leur maladie. Cela permet aux médecins d’éviter la...

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