C’est à travers l’objectif d’un photographe arménien nommé Koko Krikorian que le romancier Jad el-Hage reconfigure le paysage social libanais. Derrière une apparence d’unité de temps (l’action se situe le matin et l’après-midi), c’est le passé qui retourne pour phagocyter le présent, le vampiriser. Quant au lieu, l’unité y est également éclatée comme ce pays du Cèdre qui se disperse au gré du vent.
Après bien des pérégrinations et diverses collaborations avec des quotidiens locaux (al-Hayat et an-Nahar), le journaliste et écrivain Jad el-Hage a posé ses valises dans la montagne libanaise. C’est là qu’il y passe le plus clair de son temps à écrire et à mûrir toutes les expériences vécues.
Ce roman qui boucle une trilogie sur le thème de la guerre du Liban (The Last Migration, The Myrtle Tree) questionne tous les sujets qui en ont découlé, comme ceux de l’identité culturelle, l’émigration et l’exil. Jad el-Hage n’a ni jugement ni leçons à donner à personne. Tout comme Koko, son héros, il constate et fixe les images d’une société en voie de disparition, mais aussi celles de trois populations qui ont connu les génocides et les guerres, à savoir : les Arméniens, les Libanais et les Palestiniens.
De la société libanaise en total désordre, à la discipline instaurée par la communauté arménienne au Liban, en passant par un ordre spécifique établi par les tribus de la Békaa, c’est un road-movie qui se déroule au fil des pages.
Recherche d’authenticité
Que reste-t-il de cette intelligentsia bouillonnante qui venait de pointer son nez juste au début des années 70? Que reste-t-il de ces rêves de reconquérir le monde? De cette jeunesse dorée qui embrassait de ses bras l’Occident et l’Orient en puisant dans l’un son pragmatisme et sa logique et dans l’autre son romantisme éclairé? Rien que des rêves castrés et des idéaux brisés, traités sur fond d’histoires d’amour et de famille.
Si les acteurs de One Day in April sembleront familiers pour les lecteurs qui ont connu cette époque, c’est parce que, quoique fictifs, ils sont les archétypes d’une société panachée et multicolore dont le souvenir reste très vivant encore. Koko Krikorian pourrait rappeler le photographe du Nahar Georges Semerjian, mais aussi le grand-père de l’écrivain qui était lui-même photographe, «je me souviens de l’odeur des chambres noires», dit-il.
Bien que restant à l’écart de ses personnages dont il brosse minutieusement le portrait, el-Hage avoue avoir beaucoup d’affection pour eux – «surtout pour Nader, qu’on aime et déteste à la fois. Ce sont des personnages du passé», constate-t-il. Des dinosaures qu’on chérit tendrement, pourrait-on renchérir. Car si on perçoit dans sa voix une pointe (discrète) de nostalgie, c’est bien pour une seule et unique chose : la passion.
Cette flamme que l’écrivain essaiera de retrouver entre les lignes de ses trois romans et qui suppose une quête de l’authenticité perdue.
Un sujet grave, traité avec beaucoup d’humour, sans aucun pathos et qui pourrait être adressé à tous ceux qui revendiquent leur appartenance à ce pays sans pourtant s’y identifier.
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