Interprète d’exception du répertoire du chant savant arabe, Youssef al-Manyalawi s’est érigé en maître absolu après la mort de Hamuli et Mohammad Uthman tout en demeurant, pour des décennies après sa mort en 1911, comme l’ultime référence pour un chant qui reflète les grandes traditions vocales du «tarab».
Les éléments biographiques dont on dispose sur cet artiste exceptionnel sont fragmentaires et rares. Une reconstruction a été tentée grâce à certaines sources avec des informations collectées auprès de ses héritiers. Avec même un de ses fils qui s’essaya, dans son sillage, dans une carrière de chanteur. Mais malheureusement le tableau reste lacunaire.
Toujours est-il qu’on le retrouve, sur les photos qui nous restent de ce géant du chant, avec une moustache fournie, des yeux langoureux et de velours, un peu à la Proust et un vêtement de «cheikh» avec une tunique «jubba» et un «quftan». Dignité et sérénité, piété et droiture l’auréolent, tout comme le choix de ses pièces qu’il interprète de sa voix suave mêlant tendresse et fermeté avec des modulations envoûtantes où les «Ah ya leil» sont comme les grands soupirs de fleurs alanguies...
À l’époque de la radio et des disques à 78 tours, ce chanteur, qu’on dit de souche caïrote, a été aussi courtisé par Gramophone. Ses coups d’éclats sont nombreux dans une carrière non sans lutte avec les requins du métier. Envoyé à Istanbul par le khédive Ismaïl pour représenter l’art égyptien, il se rend auprès de la sublime porte en 1877 et chante, avec d’autres maîtres (Abdhu al-Hamuli et Mohammad al-Shanturi), pour Abdulhamid II, au pouvoir depuis 1876.
C’est accompagné du «takht» (l’ensemble instrumental), d’un «qanuniste» (Mouhammad al-Aqqad), du oudiste et des violonistes de renom (Hamuli et surtout l’Alépin Sami al-Shawwa) que Youssef al-Manyalawi s’est taillé une place au soleil dans l’art de subjuguer les auditeurs par son chant, passé du religieux au profane, et l’on cite le chiffre de cent livres comme prix d’une soirée pour sa prestation. Sans compter qu’il exigeait un supplément pour interpréter le «dor el-bolbol gani we-qalli» qui fit école et dont les imitateurs ont depuis foisonné.
D’une «wasla» à une improvisation, d’une «quasida» à un «dor», le chant, tradition virtuose exigeant une longue formation, déploie interminablement ses phrases à répétions, avec à chaque fois une nuance de plus, un ton imperceptiblement différent, un bout de rêve échappé au gosier du chanteur, une étoile scintillante nichée au creux des cordes vocales rompues aux «mouachahat», aux «mawals», aux «taksims» ou aux « maquams »...
Pour retrouver cette atmosphère des soirées arabes de jadis, celles où l’on se pâmait devant la netteté et le souffle d’un chant porté par les lèvres, mais émanant littéralement des tripes et d’une sensibilité à fleur de peau, la voix de Youssef al-Manyalawi, sur un lecteur de CD, en est une illustration vivante. Et toujours présente.
Par le biais de ce coffret dédié à la gloire de sa voix, retrouvez, grâce à la technologie contemporaine, un talent arabe impérissable et qu’on n’a pas fini, tout comme Oum Kalsoum, de fêter...
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