Avec un nombre d'utilisateurs dépassant les 600 millions, Facebook, initialement prévu pour renouer contact avec ses amis, est devenu l'outil de communication par excellence. Mais la stratégie de prédation des données privées des utilisateurs commence de plus en plus à susciter l'attention de la justice.
"L'origine du monde"
Dernier épisode en date de ce feuilleton juridique, un internaute privé de compte Facebook après avoir affiché sur son profil le tableau "L'Origine du monde" de Gustave Courbet représentant un sexe féminin. L'internaute français a déposé une assignation devant le tribunal de grande instance de Paris pour atteinte à la liberté d'expression, a-t-on appris hier dimanche auprès de son avocat.
Le plaignant, qui avait selon son avocat Stéphane Cottineau quelque 800 amis, a vu son compte désactivé par "une censure aveugle" la veille de son anniversaire et estime en conséquence avoir subi un préjudice, d'autant que ses mails de réclamation sont restés sans réponse.
Il "s'est senti associé à une personne qui ne serait pas digne de considération ou qui aurait des mœurs ou des pratiques interdites par la loi", note l'avocat rappelant que son client "homme droit, cultivé et très attaché à la transmission du savoir" est professeur des écoles et père de trois enfants.
La photo du tableau de Gustave Courbet (1886) renvoyait à un lien permettant de visionner un reportage diffusé par la chaîne de télévision Arte sur l'histoire de ce tableau. Le plaignant, qui réside à Paris, utilisait le réseau social "pour transmettre sa passion pour l'art", selon Me Cottineau.
"Facebook ne fait pas la différence entre ce qui est de la pornographie et une œuvre d'art incontestable montrée aux enfants tous les jours au musée d'Orsay", regrette l'avocat qui espère faire reconnaître la compétence du juge français pour statuer sur le litige, malgré les conditions générales du contrat Facebook donnant compétence exclusive au tribunal de Santa Clara en Californie pour tout procès.
"Ça m'apparaît totalement illégal, comme une clause abusive qui de fait empêche Facebook d'avoir toute action en responsabilité par exemple en France", a souligné auprès de l'AFP Me Cottineau qui réclame 20.000 euros au titre des dommages et intérêts. La procédure pourrait durer au moins un an.
Comble de l'ironie, une page qui critique la censure contre "L'Origine du monde" et l'art en général a été créée sur Facebook. Elle regroupe aujourd'hui près de 450 "likers".
Rien ne s'efface...
Facebook est également confronté à une autre affaire. Elle implique Max Schrems, un jeune Autrichien de 24 ans dont les découvertes sont effrayantes : Facebook stocke les données enregistrées par ses utilisateurs, sans jamais en effacer aucune.
Lors d'un échange universitaire en Californie, l’an dernier, Max Schrems profite d'une rencontre avec des responsables de Facebook pour parler avec eux des différences de législation entre les Etats-Unis et l’Europe en matière de protection de la vie privée, rapporte Ecrans.fr, supplément de Libération. "J’ai écrit un article sur ce sujet, et j’ai alors découvert que tous les utilisateurs de Facebook vivant en dehors des Etats-Unis et du Canada étaient liés par contrat à Facebook Irlande", une société "qu’ils ont probablement installée là pour bénéficier d’une fiscalité avantageuse", estime l'étudiant en droit.
Fort des droits dont il bénéficie en tant que citoyen européen, Max Schrems écrit à Facebook pour réclamer l’accès à l’ensemble des données le concernant, via un formulaire très bien caché sur le site du réseau (ci-dessous).
Après plusieurs demandes, il reçoit sur CD-Rom un fichier PDF long de 1.222 pages. Le jeune homme constate alors que le réseau social a soigneusement archivé toutes les informations qu’il croyait pourtant avoir supprimées, y compris les messages personnels.
"Il y avait aussi des adresses e-mail que je n’ai jamais communiquées à Facebook", raconte l'Autrichien à Ecrans.fr. Et pourtant il les connaissait !". Il soupçonne l’outil "Rechercher des amis", qui permet d’importer son carnet d’adresses sur Facebook et donc de fournir au réseau ce genre de coordonnées, d'être à l'origine de ce ratissage large. Pratiquement, une des connaissances de Max peut avoir enrichi le profil du jeune Autrichien sans même en avoir conscience.
Avec les quelques étudiants qui l’accompagnent dans sa démarche, il crée le site "Europe versus Facebook" pour partager ses découvertes et expliquer aux internautes comment faire de même. Il y publie son dossier PDF après l’avoir anonymisé et liste très précisément le type d’informations stockées par Facebook pour chacun de ses membres.
Parallèlement, l'étudiant décide de saisir les autorités compétentes en Irlande, où Facebook a son siège européen, pour demander une enquête approfondie.
"Je ne cherche aucun gain financier ou personnel. Je veux simplement pouvoir aller sur Facebook sans me soucier du traitement de ma vie privée", assure-t-il.
Selon Ecrans.fr, entre mi-août et mi-septembre, Max Schrems a adressé exactement 22 plaintes au Commissaire irlandais à la protection des données. Une pour chaque point de fonctionnement de Facebook qu’il estime être illégal. "Six d’entre elles concernent les informations que Facebook conserve alors que l’internaute les croit supprimées".
Max Schrems est optimiste : "Dans une interview, le Commissaire a dit que si le contenu qu’on « supprime » de Facebook n’est pas réellement effacé, c’est bien illégal. Donc on est plutôt sûrs de nous : on va gagner cette bataille", déclare-t-il au quotidien français. L’enquête a débuté cette semaine et les résultats devraient être connus d’ici la fin de l’année.
L'ultimatum de l'Allemagne
En juillet dernier, le Commissaire pour la vie privée de la ville de Hambourg en Allemagne, Johannes Caspar, a entamé une procédure judiciaire contre Facebook, après avoir reçu des plaintes. Des Allemands non encore inscrits reprochent au réseau social de collecter leurs données privées et de les conserver dans un but marketing. Cette collecte se fait pendant l'inscription au site et quand un utilisateur synchronise un carnet d'adresse pour trouver des contacts. Selon M. Caspar, courriels et numéros de téléphones de non-membres sont ainsi enregistrés par le site : "dans ce contexte, nous considérons l'enregistrement de ces données venant de tiers comme contraire aux lois sur la collecte de données personnelles".
La pression allemande s'est récemment accentuée sur Facebook. Le responsable de la protection des données personnelles à Berlin a exigé, en octobre, que le réseau social se mette en conformité avec le droit allemand et européen. Il indique qu'un ultimatum a été fixé au 7 novembre. Passé ce délai, une action en justice contre le site communautaire sera lancée.
La troisième Intifada
Même la politique s'en mêle. En mars dernier, Facebook est attaqué en justice aux Etats-unis pour avoir tardé à fermer une page appelant à une troisième Intifada contre Israël, selon des documents de justice dévoilés par le site TechCrunch. La page a été fermée le 29 mars après qu’Israël ait contacté la direction du réseau social. Justification : le contenu posté incite "à tuer des Israéliens et des juifs". Larry Klayman, le plaignant, a demandé un milliard de dollars de dommages et intérêts.
Vie privée, ligne rouge
La saga juridique contre Facebook remonte en fait à l'année 2009 quand cinq utilisateurs ont poursuivi le site de socialisation pour atteinte à la vie privée.
Une première plainte déposée le17 août 2009, en Californie, accusait Facebook de rassembler des données personnelles sans respecter la promesse faite aux utilisateurs de pouvoir strictement contrôler les informations mises en ligne.
Facebook a jugé que la plainte était infondée et a promis de livrer une bataille juridique. Les plaignants ont demandé des dommages et intérêts d'un montant non précisé.
L'un d'eux, une femme qui dit avoir rejoint Facebook quand ce n'était qu'un outil pour mettre en réseau des étudiants, (Mark Zuckerberg a fondé le site en 2004 pour permettre à des amis d'université de rester en contact tout au long de leur vie), a accusé Facebook de l'avoir trompée en devenant un réseau social ouvert.
Un photographe et une actrice reprochent à Facebook d'avoir partagé à tort des photos diffusées sur leur page.
La dernière plainte concerne deux jeunes garçons dont les avocats estiment qu'ils n'auraient pas dû pouvoir publier des images et des commentaires en ligne sur le réseau social. Facebook exige de ses membres qu'ils aient au moins 13 ans, mais il n'y a pas d'outil qui permette de confirmer l'âge des utilisateurs qui ouvrent un compte. L'un des jeunes garçons avait 11 ans quand il a rejoint Facebook pour déclarer sur son profil qu'il avait la grippe A et mettre en ligne des photos et des vidéos d'enfants à moitié nus en train de nager, selon la plainte.
A plusieurs reprises, Facebook a été contraint, face au tollé suscité par ses nouveaux termes d'utilisation, de revoir sa stratégie et d'améliorer le respect de la vie privée tout en continuant à permettre à ses utilisateurs d'être en contact.
Lire aussi : Les histoires les plus incroyables de Facebook
Pour en savoir plus : Facebook et la justice française (Les échos)
"L'origine du monde"
Dernier épisode en date de ce feuilleton juridique,...