Hier se déroulait la première étape de l’échange de prisonniers entre Israël et les Palestiniens, retransmise minute par minute par les chaînes de télévision du monde entier. 1027 contre un : pour disproportionnés que soient les termes du marché, il est clair que les protagonistes y trouvent tous deux leur compte. Benjamin Netanyahu ramène au bercail un jeune militaire et en retour, il ne fait que désengorger les geôles israéliennes où croupissent encore des milliers de militants palestiniens. Que les radicaux du Hamas en tirent un légitime prestige, que, du coup, le modéré Mahmoud Abbas se trouve un peu plus marginalisé ne peut que conforter par ailleurs la politique d’atermoiement et de grignotage de la terre pratiquée par le gouvernement israélien.
Ce n’est pas en chiffres, dès lors, que peut être évalué un troc aussi spectaculairement inégal que celui d’hier et qui, d’ailleurs, n’est pas le premier du genre. Saisissant est, à cet égard, le commentaire désabusé qu’un caricaturiste américain place dans la bouche d’un détenu palestinien sur le point de quitter sa prison : Il me faut revoir mes maths, je vaux 70 grammes de soldat israélien...
C’est un fait que l’État hébreu, dont la barbarie est pourtant illustrée par les épouvantables excès auxquels il s’est livré dans la bande de Gaza ou au Liban-Sud, par exemple, attache en revanche une valeur considérable à la vie ou à la liberté de ses propres citoyens, qu’ils soient civils ou militaires. Mais que vaut, au fait, la vie d’un Arabe aux yeux des responsables arabes eux-mêmes ? Et en matière de confrontation avec Israël le culte du martyre – autrement dit du suicide – que prônent les partis et mouvements autopromus instruments de Dieu, n’en dit-il pas long sur le peu de cas qui est fait des vies humaines, tant arabes qu’ennemies ?
C’est comme s’ils avaient affaire à de vulgaires moucherons que les blindés égyptiens écrasaient il y a peu des manifestants coptes qui protestaient contre l’incendie d’une église. En Syrie, même les enfants ne sont guère épargnés par une répression battant tous les records de brutalité. Par un pervers effet de voisinage, et parce que ce sont les fruits pourris qui gâtent les sains et non l’inverse, l’infamie a fini par s’installer dans ce havre de liberté, de démocratie et de respect des droits de l’homme que prétend être notre pays. Israël doit tirer la leçon de cet échange et s’engager sur la voie d’une paix juste, affirmait hier le chef de l’État, Michel Sleiman. Certes Monsieur le président, mais ce n’est pas tout : il nous faut, nous aussi, affronter avec honnêteté et courage les sinistres dossiers que le troc d’hier fait irrésistiblement remonter à la surface.
Privé qu’il est de toute monnaie d’échange, l’État libanais n’a guère de troc à proposer. Mais c’est avec une criminelle désinvolture qu’il n’a cessé de traiter la question des milliers de Libanais illégalement détenus, depuis des décennies parfois, en Syrie. Ceux-ci n’ont pas tous été capturés par les troupes syriennes, toutes-puissantes durant l’ère de la tutelle. Pour la honte de notre pays, nombre d’entre eux en effet ont été appréhendés, souvent sans mandat en règle, par des autorités locales serviles, avant d’être livrés à l’occupant.
Celui-ci est parti mais la collaboration est toujours là, et c’est à cette même et double indignité – un boulot particulièrement sale accompli, de surcroît, pour le compte d’autrui – que continuent à s’adonner des agents étatiques libanais. Les victimes en sont cette fois des opposants syriens, dont l’octogénaire Chebli al-Ayssami, un des fondateurs du parti Baas retiré des affaires mais se refusant néanmoins à proclamer son appui au régime de Damas comme on l’y priait avec insistance. Non moins choquante est la disparition des frères al-Jassem, arrêtés et livrés à leurs geôliers et bourreaux par de très authentiques policiers libanais qui étaient affectés à l’escorte de l’ambassadeur de Syrie à Beyrouth : glaçante affaire dont le compte-rendu détaillé était fait il y a quelques jours par le général Achraf Rifi, directeur des Forces de sécurité intérieure, devant la commission parlementaire des droits de l’homme. Le scandale ne s’arrête pas là, puisque les résultats – accablants –
de l’enquête dorment depuis le mois de février dans les tiroirs du parquet militaire et que l’armée syrienne poursuit imperturbablement ses incursions en territoire libanais.
Pour répondre aux accusations le visant, l’ambassadeur de Syrie n’a pas trouvé mieux que d’inviter ses critiques à relire les clauses de ce contrat léonin qu’est l’accord de coordination et de fraternité conclu entre Damas et Beyrouth. C’était seulement rappeler aux Libanais, avec une maladroite insolence, à quel point cet accord censé lier les deux pays ne fait en réalité que ligoter, bâillonner et garrotter le plus faible des deux.
Issa GORAIEB
La vie au rabais
OLJ / Par Issa GORAIEB, le 19 octobre 2011 à 01h17