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La société saoudienne est aujourd’hui plus ouverte à de nouvelles réformes - Éclairage

La société saoudienne est aujourd’hui plus ouverte à de nouvelles réformes

Alors que les femmes en Arabie saoudite ne peuvent pas conduire et ont en permanence besoin de l’autorisation de leur mahram, le roi Abdallah ben Abdel-Aziz leur a donné récemment le droit de vote. Le royaume ultraconservateur étant parsemé de contradictions, pourquoi ce droit de vote est-il évoqué aujourd’hui ? Quelles seront les futures réformes ? Des experts se penchent sur ces questions.

Des Saoudiennes attendent leur chauffeur à la sortie d’un centre commercial à Riyad. Fayez Nureldine/AFP

Le roi Abdallah ben Abdel-Aziz d’Arabie saoudite a octroyé fin septembre le droit de vote aux femmes à partir des prochaines élections municipales en 2015, une première historique dans ce royaume ultraconservateur où elles sont soumises à de nombreuses restrictions et discriminations. Le roi, un réformateur qui tente de moderniser prudemment une société très conservatrice, a également décidé que les femmes seraient représentées au Majlis al-Choura, une Assemblée consultative dont les 150 membres sont désignés par les autorités.
Le souverain s’est ainsi élevé contre « la marginalisation » des femmes, prônant « une modernisation équilibrée » de la société saoudienne.

Timing propice
Pour Stéphane Lacroix, enseignant à Sciences-Po Paris, l’annonce du roi s’inscrit dans une logique de long terme. « Depuis son entrée en fonctions, Abdallah d’Arabie a fait de la réforme sociétale et en particulier la question des droits des femmes une priorité de son gouvernement. Un certain nombre de mesures ont d’ailleurs déjà été prises, parmi lesquelles la plus symbolique et la plus médiatisée fut la nomination d’une femme au poste de vice-ministre de l’Éducation en 2009, Noura al-Fayez. Notons également la création de la première université mixte du royaume, la King Abdullah University for Science and Technology. » Un point de vue partagé par Olivier Da Lage, spécialiste de l’Arabie saoudite, pour qui « le roi Abdallah, de longue date, souhaite donner davantage de droits aux femmes. Il faut donc supposer soit qu’il ait réussi à convaincre les réticents au sein du cercle dirigeant de la famille royale, soit qu’il ait décidé de passer outre ces réticences en se disant que le temps lui était compté » (il a près de 90 ans, NDLR).
Parallèlement, face au vent révolutionnaire qui souffle dans la région, la monarchie saoudienne, comme tous les régimes arabes, « cherche à maintenir son emprise en combinant fermeté et concessions. Dans un premier temps, le pouvoir a cherché à utiliser la rente pétrolière pour acheter la paix sociale. Plus de 130 milliards de dollars ont été débloqués par le roi Abdallah pour des projets liés à l’emploi, au logement, aux infrastructures et à la santé. Mais les révolutions arabes étant d’abord des révolutions de la dignité, la générosité financière ne suffit pas pour étouffer les revendications de liberté et de changement. Le pouvoir a donc pris conscience qu’il fallait également faire des concessions sur la question très sensible des droits des femmes. Pour ce qui est du timing, la monarchie saoudienne a attendu que les premiers orages passent et que les révoltes de Bahreïn soient matées pour annoncer cette réforme », estime pour sa part Karim Bitar, chercheur à l’IRIS.
D’ailleurs, dans la foulée du printemps arabe, « des mouvements de femmes sont apparus en Arabie, demandant à la fois le droit de conduire, avec Manal al-Chérif, et le droit de participer aux élections. Cette campagne, “Baladi”, avait débuté en avril-mai, explique Stéphane Lacroix. Or, les Saoudiens n’aimant pas beaucoup l’agitation, la perspective de voir certaines de ces femmes, même quelques dizaines, organiser une manifestation ou un sit-in devant l’un des centres électoraux a poussé le roi à annoncer ce droit de vote quelques jours avant les élections pour désamorcer toute velléité de contestation ».
En effet, la campagne « Baladi » « a obtenu une couverture médiatique exceptionnelle, notamment en Occident, ce qui a permis aux réformateurs et progressistes saoudiens de ne pas perdre l’initiative et de poursuivre leur contestation à travers cette question très symbolique », indique Karim Bitar.
Olivier Da Lage tempère cependant, ne voyant pas en cette annonce « une décision conjoncturelle de la part du roi. La Loi fondamentale n’interdit d’ailleurs pas aux femmes de voter. Simplement, lors des premières élections municipales en 2005, le gouvernement avait choisi de les tenir à l’écart, sans véritablement justifier sa décision. Du reste, le prince Saoud el-Fayçal, ministre des Affaires étrangères et fils du roi Fayçal, avait à l’époque indiqué que les femmes pourraient voter lors des élections suivantes ».

Simple effet d’annonce ?
Ainsi, la décision du roi d’accorder le droit de vote aux femmes semble poussée par les révoltes qui ont eu lieu dans la région. Or Karim Bitar estime qu’il s’agit « d’une mesure destinée aux relations publiques, à la communication et à l’Occident. Il s’agit de complaire au parrain américain pour conserver son soutien, Washington pouvant alors évoquer cette réforme lorsqu’on lui reprochera l’hypocrisie de son soutien à l’Arabie saoudite ».

Une opinion que ne partage pas Olivier Da Lage. Selon lui, ce qui est en jeu met en cause des thèmes qui résonnent profondément dans la société saoudienne et le point de vue occidental n’y a pas sa place. « L’équilibre interne des forces sociales du royaume s’est légèrement déplacé vers plus d’ouverture. »
Toutefois, dans une certaine mesure, il y a une volonté de satisfaire l’Occident. « Le pouvoir saoudien en place est passé maître dans l’art de parler le langage des Occidentaux et il est tout à fait conscient de la valeur symbolique que revêt auprès d’eux toute avancée sur le droit des femmes », estime pour sa part Stéphane Lacroix. Mais ce n’est pas un simple effet d’annonce, dans le sens où ce sont « des droits qui sont réels, nombre de femmes et d’activistes se disant heureuses de cette mesure parce qu’elles ont l’impression qu’elles ont obtenu quelque chose », ajoute-t-il.

Droits basiques bafoués
En tout état de cause, ces femmes peuvent faire la liste de tous les droits qui restent à obtenir et ils sont nombreux, « à l’instar du mahram (l’autorisation du tuteur mâle, NDLR) qui reste en place », poursuit le spécialiste. « Le mahram reste la question essentielle puisqu’elle pourrait se poser même pour les futures élections. Rappelons que le roi Abdallah lors de son annonce de permettre aux femmes de voter en 2015 a bien précisé que cela se ferait selon les normes de la charia, ce qui implique que les femmes auront besoin de l’autorisation de leur mahram pour aller voter. Dans ce contexte, les femmes des conservateurs pourraient ne pas obtenir cette autorisation, et je vois mal l’État saoudien aller contre la décision des maris, leur permettant d’aller voter quand même. »
Cette question du mahram, d’une certaine manière, englobe toutes les autres et devra être abordée à un moment ou un autre, même si tout changement réel semble difficile car elle dérive de traditions profondément ancrées dans la société saoudienne. Cela restera le point d’achoppement dans les efforts de réformes du roi sur la question de la femme.
« On ne peut pas parler de véritable avancée puisque les femmes demeurent sous tutelle, vivant dans une situation de “gender apartheid”, estime également M. Bitar.
Sur le plan économique, même si des Saoudiennes ont un capital important ou jouent un rôle économique, elles ont « théoriquement besoin de la signature de leur mahram », rappelle M. Lacroix, pour n’importe quelle transaction ou projet. « C’est un système qui est plein de contradictions, les femmes évoluent dans une perpétuelle zone grise en Arabie. Il reste effectivement beaucoup à faire », poursuit le spécialiste.
Par ailleurs, « il faut préciser que cette nouvelle loi revient en fait à permettre à des femmes de voter à des élections dans lesquelles les élus n’ont pas de réels pouvoirs. On vote pour élire des conseils municipaux qui ne sont qu’à moitié élus et dont les pouvoirs restent quasiment inexistants. Et, on l’a vu aux dernières élections du 29 septembre, le taux de participation a été extrêmement faible. C’est drôle d’annoncer que les femmes pourront voter pour un scrutin où les hommes eux-mêmes ne semblent plus très intéressés à participer », précise M. Lacroix.

Les réformes futures
Dans ce contexte, on pourrait s’attendre que le roi Abdallah continue sur sa lancée et fasse de nouvelles réformes. Mais pour Karim Bitar, il ne faut pas espérer de vastes transformations. « D’abord parce que le régime demeure profondément réactionnaire et craint le moindre changement. Ensuite, parce que le roi étant âgé et malade, commence à naître une guerre de succession avec plusieurs courants au sein de la famille royale et ce contexte n’est guère propice aux grands bouleversements. Tout au plus y aura-t-il quelques concessions de pure forme pour des raisons liées aux relations publiques. » « La logique voudrait que l’on accorde désormais aux femmes le droit de conduire », estime pour sa part Olivier Da Lage.
« Cette question reste en effet encore en suspend mais va probablement être prise prochainement, le roi y tenant », affirme de son côté Stéphane Lacroix. Le souverain a d’ailleurs annulé dernièrement la condamnation d’une Saoudienne à dix coups de fouet pour avoir bravé cette interdiction.
« En dépit des résistances des conservateurs – qui le sont moins aujourd’hui ne serait-ce que par la mondialisation – l’Arabie Saoudite ne peut plus vivre dans une bulle, elle doit s’ouvrir au monde d’une manière ou d’une autre. Surtout que l’interdiction faite aux femmes de conduire est difficile à justifier pour les conservateurs. D’un point de vue islamique, une femme dans une voiture avec un chauffeur qui n’est pas de sa famille peut être difficilement présentée par les conservateurs comme quelque chose de mieux » sur le plan islamique qu’une femme au volant.
De plus, l’opinion publique saoudienne est en train de basculer suffisamment pour que le roi puisse faire passer cette mesure, conclut M. Lacroix.
Le roi Abdallah ben Abdel-Aziz d’Arabie saoudite a octroyé fin septembre le droit de vote aux femmes à partir des prochaines élections municipales en 2015, une première historique dans ce royaume ultraconservateur où elles sont soumises à de nombreuses restrictions et discriminations. Le roi, un réformateur qui tente de moderniser prudemment une société très conservatrice, a...