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Culture - Cimaises

Objets rouillés avez-vous donc un visage ?

La photographie des carcasses industrielles, Nancy Debs Haddad en a fait sa signature. Ses lubies visuelles ainsi que d’autres, sculptées, sont exposées à l’espace Kettaneh Kunigk (Tanit)* sous l’intitulé « Toxicity ».

Nancy Debs Haddad, photographe écotoxicologue.

Nancy Debs Haddad a décidément l’œil pour dénicher les angles les plus improbables. Des journées, des mois des années passés à déambuler dans les friches industrielles, où des carcasses finissent de se désagréger et la jeune femme en tire des photographies de bouts de machines rouillées qui ressemblent étrangement à des figures qui se situent à tiers chemin entre l’humain, l’animal, le robot ou le masque des civilisations précolombiennes.
Machines rouillées, avez-vous donc un visage? Devrait-on alors se demander, à la vue de ces photos grand format, non dénuées d’humour. Les clichés accrochés aux cimaises de l’espace Kettaneh Kunigk viennent en droite ligne de son travail de recherche entamé il y a plus de trois ans et présenté une fois au Centre culturel français lors d’une exposition individuelle et une autre fois au musée Sursock, dans le cadre du Salon d’automne. «Toxicity» se présente donc dans la même veine, mais l’artiste y explore de nouveaux horizons. La sculpture, d’abord, puisque Debs expose des bronzes prenant la forme de quelques-uns des « personnages » photographiés. L’on y trouve également des objets récupérés, représentant un couple qui s’enlace, un autre qui danse, l’un est rouillé, l’autre est recouvert de peinture rouge. Et ils sont tous coiffés d’une dizaine de clous en guise de cheveux à la mode «spikee». Haddad introduit également une autre nouveauté: la superposition d’un élément industriel à un paysage coloré et gai. Comme dans ces deux tableaux où l’on peut voir deux bonbonnes d’oxygène avec masques, devant une plage idyllique. Message écolo on ne peut plus clair de la part d’une jeune femme qui assure trier ses déchets selon les normes internationales de recyclage.
Mais pourquoi les usines? Pour la photographe, il s’agit d’un décor familier appartenant au passé. Des images d’un autre âge pour celle qui a grandi à l’ombre des machines de l’usine de son père, en Afrique. Et c’est sans doute de ce continent noir qu’elle a rapporté également sa prédilection pour les figures animalières, notamment les éléphants et les crocodiles. Elle a d’ailleurs «construit» une sculpture modulable de crocodile «qui pourrait ressembler à un jeu d’enfant», souligne l’artiste en assemblant et désassemblant les parties.
Un univers industriel, un autre plus ludique, tous deux se rejoignent sous et avec le même objectif: redonner une seconde âme à des éléments industriels oubliés, jouer sur les apparences, la lumière et les contrastes, traiter des matières premières à connotation très dure, jusqu’à les guider afin qu’elles se révèlent d’une douceur et légèreté incroyable... Ambivalence entre la forme et la matière, subtilité du langage plastique, détournement des matériaux, on imagine un monde parallèle où le passé et le futur s’entrechoquent...

La mémoire des choses
Les recherches photographiques de la jeune artiste mettent souvent en évidence le jeu des lignes et des formes. Debs Haddad travaille le noir et blanc ainsi que la couleur. Ses réalisations peuvent être également comprises comme un travail sur la mémoire des choses. Sur tout ce qui fut un jour et ne sera plus jamais pareil. Ses images font revivre bien des témoins que l’œil, par habitude, n’aperçoit sans doute plus: lieux abandonnés, usines délabrées, végétation envahissante, machines rouillées, poutres tordues.
Ces rebuts qui se sont parés d’une couche de rouille au cours de leur lente agonie, Nancy Debs Haddad leur a ainsi trouvé une apparence quasi humaine. Et les a habillés d’un double propos. L’écologique, en premier lieu : car qui dit usine, dit pollution. Les bâtisses industrielles ont généralement mauvaise presse. Ils sont nocifs, dangereux, toxiques (d’où le titre de
l’exposition).
Propos économique, également, si l’on considère ces machines désuètes comme des actifs toxiques, des produits qui ne servent plus à rien, dont personne ne veut plus. Photographe écotoxicologue, Nancy Debs Haddad?

* Jusqu’au 8 octobre, centre Gefinor, bloc E. De 11h à 17h. Tél. 01/ 738 706.
Nancy Debs Haddad a décidément l’œil pour dénicher les angles les plus improbables. Des journées, des mois des années passés à déambuler dans les friches industrielles, où des carcasses finissent de se désagréger et la jeune femme en tire des photographies de bouts de machines rouillées qui ressemblent étrangement à des figures qui se situent à tiers chemin entre...

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