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Dix ans après, comment a évolué la menace d’el-Qaëda ? - Commémoration du 11-Septembre

Dix ans après, comment a évolué la menace d’el-Qaëda ?

Dix ans après l’écroulement des tours jumelles, et quelques mois après la mort de Ben Laden et l’hallucinante effervescence du printemps arabe, une question demeure, prégnante : la menace d’el-Qaëda est-elle toujours la même ?

Les noms des victimes des attentats ont été gravés sur des panneaux de bronze entourant un bassin commémoratif sur le « Ground Zero ». Chip Somodevilla/AFP


Au lendemain des attentats du 11-Septembre, les États-Unis et certaines puissances européennes (France, Royaume-Uni et Allemagne) ont entamé une guerre contre le terrorisme, loin d’être terminée. La guerre en Afghanistan a commencé début octobre 2001, et celle d’Irak en mars 2003. Cependant, en dépit des centaines de milliers d’hommes envoyés dans ces deux pays et les milliards de dollars investis dans ces interventions militaires qui durent depuis près de dix ans, on parle encore de « bourbiers » ou d’« erreurs fondamentales ». Peut-on malgré tout affirmer que les interventions militaires américaines depuis le 11-Septembre en Irak comme en Afghanistan ont réussi à éliminer la menace terroriste sur le sol américain ?
Ahmad Moussally, professeur en sciences politiques à l’Université américaine de Beyrouth et expert en mouvements islamistes, estime que oui. « Nous n’avons enregistré aucune menace depuis le 11/9, d’autant plus que la sécurité est au niveau maximal. Mais la peur est toujours là, et elle coûte énormément d’argent pour les États-Unis, à l’intérieur comme à l’extérieur du pays. La vraie menace est donc psychologique. Trop de dollars sont consacrés à de nouvelles institutions, créées dans la foulée du 11/9 et qui n’existent nulle part ailleurs. Nous ne devons pas oublier le Patriot Act qui reflète également la paranoïa du pays. »
Peut-on alors convenir que le principal succès d’el-Qaëda se situe à ce niveau : la peur de nouveaux attentats ? L’économie américaine est profondément en crise, notamment à cause de la politique de défense. Sauf que l’efficacité de celle-ci n’est pas totale, c’est un faux sentiment de sécurité qui s’est installé et el-Qaëda continue apparemment de semer la terreur. De plus, son mode de pensée s’est étendu aux « agences » et autres institutions, notamment militaires. Maintenant, nous nous retrouvons avec une nouvelle « génération el-Qaëda » née aux États-Unis et en Europe. La menace est terrifiante pour toutes les cibles potentielles, comme les transports.

L’adaptation
Karim Bitar, chercheur à l’IRIS (Institut des relations internationales et stratégiques – Paris) et expert en islamo-terrorisme, estime quant à lui qu’au contraire, la menace s’est accrue, même si el-Qaëda semble avoir perdu de vitesse, parce que le ressentiment de certaines populations a augmenté. « Après le 11/9, un sentiment ultranationaliste a vu le jour, ou en tout cas s’est exacerbé, surtout que nombreux sont ceux qui pensent que la guerre en Irak n’était qu’un prétexte pour servir les intérêts américains. D’ailleurs, le ministre français des Affaires étrangères de l’époque, Dominique de Villepin, avait qualifié cette guerre de “piège diabolique” élaboré par el-Qaëda. Pour Villepin, le 11/9 était plus un acte symbolique qu’autre chose ; en réalité, un piège destiné à pousser les États-Unis à attaquer un pays arabe et à l’attirer sur son territoire. »
Les États-Unis se sont retrouvés très affaiblis par le coût de cette guerre d’Irak, pour laquelle ils ont dépensé entre 6 et 7 mille milliards de dollars. Et, malgré cela, l’imposante infrastructure militaire américaine n’a pas réussi à avoir raison des quelques milliers d’insurgés, ni à stabiliser l’Irak ou l’Afghanistan – sachant que le budget de défense US est égal à celui de tous les pays réunis, et rien que pour 2011, il s’élève à 705 milliards de dollars. Malgré cela encore, les États-Unis se retrouvent à négocier avec des insurgés et à préparer le retrait de leurs troupes. De plus, selon certaines sources, la guerre en Irak a fait plus d’un million de morts, et « l’ancien vice-président Dick Cheney a terni la réputation du pays avec les innombrables histoires de tortures et d’arrestations sommaires qui ont filtré ». L’Amérique n’est donc plus seulement affaiblie économiquement, mais aussi moralement et psychologiquement.
Même si el-Qaëda n’est plus centralisée comme avant, ajoute M. Bitar, « la menace existe toujours : de nombreux attentats ont été déjoués au cours des dix dernières années. Mais elle continue de se transformer, d’évoluer et de s’adapter. L’une des erreurs de la guerre contre le terrorisme a été de mettre tous les mouvements “terroristes” dans le même sac (Hamas, el-Qaëda, etc.) au lieu de traiter ces mouvements au cas par cas. Les guerres militaires qui ont été déclenchées sont donc des guerres asymétriques puisqu’elles englobaient tous ces mouvements de la même manière ».

La mort de Ben Laden et le printemps arabe
Est-il seulement possible de dissocier les attentats du 11-Septembre d’Oussama Ben Laden, personnage charismatique et quasi diabolique s’il en est ? Sa mort le 2 mai dans la ville-garnison d’Abottabad lors d’une opération d’un commando américain héliporté au Pakistan a suscité diverses réactions dans le monde, entre soulagement et joie, et promesses de vengeance.
Il n’en reste pas moins qu’avant ce succès américain, diverses branches d’el-Qaëda ont été créées au cours des dernières années. Leurs acronymes sont relatifs aux régions qu’ils « couvrent » : AQPA (El-Qaëda pour la péninsule Arabique) ou AQMI, (El-Qaëda pour le Maghreb islamique). Ce morcellement d’un mouvement terroriste que l’on pensait global et entier, ainsi que la mort de l’homme qui soi-disant tirait les ficelles de ce groupe ont très certainement influencé l’image d’el-Qaëda, ainsi que son fonctionnement. Mais est-ce que cela a joué en sa faveur, ou au contraire en sa défaveur ? D’après Ahmad Moussally, el-Qaëda n’a de toute manière jamais été une organisation centralisée, même lors du vivant de Ben Laden. Le groupe comptait surtout sur l’entraînement de ses membres, et non pas sur les ordres d’une autorité supérieure. « Pourtant, ils continuent de s’étendre, surtout avec l’apparition de la nouvelle génération, comme au Yémen. Ils n’ont pas réellement été affectés par la mort de Ben Laden, qui était plus symbolique qu’autre chose. En réalité, ils n’ont pas changé. Quant aux groupes régionaux (AQPA, AQMI, AQ Iran, AQ Syrie, AQ Algérie...), ils ont toujours procédé par une invasion pays par pays, d’autant plus qu’ils ont plus d’adhérents maintenant. Ce qu’on appelle aujourd’hui le “printemps arabe”, ou ce que moi je préfère appeler “chute arabe”, a été provoqué par des groupes séculaires islamistes, et el-Qaëda en est le principal bénéficiaire. De plus, le groupe est mieux organisé : ils ont un responsable influent dans chaque pays stratégique. Par exemple, l’un des chefs révolutionnaires en Libye, Belhadj, est en réalité le chef d’el-Qaëda en Libye. Idem pour le Yémen ou l’Égypte, qui ont leurs propres figures influentes islamistes. Des dictateurs sont remplacés par des islamistes modérés ou radicaux », insiste le chercheur. Il semble donc inévitable qu’à long terme, el-Qaëda sera de plus en plus impliquée dans la région via les salafistes, notamment au Liban, en Syrie et dans les territoires palestiniens. Quant à son influence en Irak et en Afghanistan, elle grandit sans cesse vu le sécularisme créé par les États-Unis, surtout entre les sunnites et les chiites.

La patte Obama ?
Au contraire, Karim Bitar juge qu’« en termes de grandes opérations, c’est plus dur pour el-Qaëda depuis la mort de Ben Laden. Par contre, le morcellement du mouvement en groupes régionaux augmente les capacités nocives de ces derniers parce qu’ils n’ont pas à obéir à une plus grande autorité. De plus, leurs motivations ne sont pas toujours politiques, comme c’est le cas par exemple d’AQMI et dans le Sahel. Leurs motifs sont plutôt crapuleux, parce qu’économiques : ils n’hésitent pas à procéder à des enlèvements pour des rançons », explique-t-il. Mais tout « dépend » de l’Occident : continuera-t-il à combattre le terrorisme de la même manière, sachant qu’el-Qaëda n’a pas réussi, politiquement, à gagner l’adhésion des populations les plus concernées par cette guerre contre le terrorisme ? « La tactique consiste donc à pousser l’Occident à commettre des erreurs », estime-t-il.
Beaucoup, justement, espéraient un changement de la politique US avec l’arrivée à la Maison-Blanche de Barack Obama, aux antipodes de son prédécesseur, George W. Bush.
« L’on constate qu’il est trop tard pour arranger la politique américaine dans le monde arabe. La guerre en Irak a été la grande erreur des États-Unis, même si, aujourd’hui, cette guerre se privatise. Le 11/9 a été le fait d’un groupe terroriste transnational qui, pour la première fois dans l’histoire, a réussi à faire plus de dégâts qu’une armée nationale, comme ce fut le cas pour Pearl Harbor, et ce en quelques heures », rappelle Karim Bitar, évoquant les procédés « moins classiques » utilisés depuis par les USA, à l’instar des Black Water (aujourd’hui appelée XE), en Somalie par exemple.
Il n’empêche, malgré le nombre de mesures symboliques prises par l’administration Obama, le contentieux interamericain par rapport à la politique de défense est loin d’être terminé.
Au lendemain des attentats du 11-Septembre, les États-Unis et certaines puissances européennes (France, Royaume-Uni et Allemagne) ont entamé une guerre contre le terrorisme, loin d’être terminée. La guerre en Afghanistan a commencé début octobre 2001, et celle d’Irak en mars 2003. Cependant, en dépit des centaines de milliers d’hommes envoyés dans ces deux pays et les milliards de...