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Analyses

L'armée US, entre métamorphose et épuisement

Depuis 2001, plus de 6.000 militaires américains ont été tués en Irak et en Afghanistan. Peter PARKS/

Projetée dans deux conflits après le 11 septembre, l'armée américaine a enduré une mutation radicale sous la pression de guérillas auxquelles elle n'était pas préparée et, malgré une augmentation énorme de son budget, s'est épuisée en dix ans de guerre.

Chasse aux combattants extrémistes, invasion de l'Irak, lutte contre les insurrections irakienne et talibane : les Etats-Unis sont entrés dans une nouvelle ère après l'effondrement des tours jumelles de New York.

La puissance militaire américaine agit d'abord comme un rouleau compresseur : le régime taliban est renversé en un mois, celui de Saddam Hussein en trois semaines. Mais rapidement, les GI's se retrouvent confrontés à un combat autrement plus meurtrier : une insurrection.

 

Or, l'armée américaine du début des années 2000 a oublié les leçons du Vietnam et constitue une force essentiellement bâtie pour un conflit conventionnel. Les Etats-Unis ont commis l'erreur de placer "une confiance exagérée dans l'efficacité de la haute technologie face à la rusticité de l'ennemi", relève l'ancien ambassadeur James Dobbins.

"En 2002, les effectifs des troupes américaines en Afghanistan tournaient autour de 10.000 et les plans du Pentagone pour l'Irak prévoyaient le maintien de 30.000 hommes en septembre 2003", selon cet expert au centre de réflexion Rand. Il n'était alors pas question de se lancer dans une mission de modernisation du pays ("nation building").

Les Américains ont dû réapprendre dans la douleur à combattre une insurrection, tout en poursuivant la traque des combattants extrémistes à l'aide de services de renseignement de plus en plus militarisés et d'une nouvelle arme : le drone.

 

Dix ans après le 11 septembre, 100.000 hommes sont toujours déployés en Afghanistan, près de 50.000 en Irak.

Les dépenses mises en œuvre sont considérables, les dégâts humains ne le sont pas moins.

Depuis 2001, la guerre contre le terrorisme et les opérations en Afghanistan et en Irak ont coûté 1.283 milliard de dollars, selon un rapport du service de recherches du Congrès (CRS).

Plus de 6.000 militaires américains ont été tués, plus de 45.000 blessés. Les frais médicaux pour les anciens combattants risquent d'atteindre 1.000 milliards de dollars sur les 40 prochaines années, selon une étude de l'université Brown.

Et deux tiers des 1,25 million de vétérans, dont beaucoup ont connu de multiples déploiements en Irak et Afghanistan, souffrent de blessures invisibles comme le syndrome de stress post-traumatique, et connaissent à des degrés divers des problèmes psychologiques. Le nombre de suicides atteint des sommets.

 

Pour quels résultats ? Le budget du Pentagone a certes doublé et pourtant le nombres de navires et sous-marins a chuté de 10%, le nombre d'escadrons de chasseurs et de bombardiers de moitié. Occupés dans les sables d'Irak et les montagnes d'Afghanistan, les militaires "n'ont pas eu le temps de s'entraîner" à une guerre conventionnelle, estime Lawrence Korb, expert au Center for American Progress.

"Inévitablement, il faudra un retour de balancier une fois ces campagnes terminées", juge pour sa part Stephen Biddle, du Council on Foreign Relations.

Plus grave, l'armée est usée selon lui : "il y a un point de rupture. Personne ne sait où il se situe et il ne semble pas encore avoir été atteint. Mais c'est une institution extrêmement fatiguée. Il y a des limites au-delà desquelles on ne peut la pousser".

L'ancien patron du Pentagone, Robert Gates, semble l'avoir compris. En février, quelques mois avant de quitter ses fonctions, il prévenait : "Tout futur secrétaire à la Défense qui conseillerait au président d'envoyer une importante force armée en Asie, au Moyen-Orient ou en Afrique devrait se faire examiner le cerveau".

Projetée dans deux conflits après le 11 septembre, l'armée américaine a enduré une mutation radicale sous la pression de guérillas auxquelles elle n'était pas préparée et, malgré une augmentation énorme de son budget, s'est épuisée en dix ans de guerre.
Chasse aux combattants extrémistes, invasion de l'Irak, lutte contre les insurrections irakienne et talibane : les...