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Culture - Exposition

Voyage en intemporalité à la galerie Sfeir-Semler

À la galerie Sfeir-Semler, deux expositions photos se renvoient, à plus d’un siècle d’intervalle, des parallélismes confondants. Entre les clichés du Moyen-Orient du XIXe siècle de la collection Herzog et les images récentes du voyage en Égypte d’Elger Esser, l’intemporalité semble avoir tissé des points de jonction.

Une vue de la série « Voyage en Égypte », d’Elger Esser.

Les bords du Nil. Plus d’un siècle d’intervalle – mais aussi différents formats, techniques et optiques de travail – sépare le petit cliché (tirage albuminé, datant de 1885 et imputé aux frères Zangaki) immortalisant d’anonymes voyageurs et leurs chameaux se rafraîchissant au bord du mythique fleuve égyptien, des images, en grand format, prises par le photographe allemand Elger Esser, lors de sa remontée du Nil, de Louxor à Assouan, au mois d’avril
dernier.
Et pourtant, elles ont en commun ce soupçon d’intemporalité qui fait le lit de la
nostalgie.
La nostalgie, normale pour une photo d’époque, est nimbée dans ce cliché en particulier d’une délicate poésie qui lui donne un faux air de gravure. Le reflet inversé dans l’eau des palmiers et des personnages en bordure du fleuve accentue ce côté artistique, sans doute involontaire, la préoccupation première des photographes, en ces temps-là, étant l’intérêt documentaire de leurs œuvres.
Un siècle et demi plus tard, c’est cette même poésie, cette même réflexion dans l’eau, cette même résonance avec l’art pictural que l’on retrouve dans les images de très grand format d’Elger Esser.

Paysages silencieux
Des photos à l’intemporalité frappante. Des paysages «silencieux» du bord du Nil dénués de toute présence humaine et fixés dans la lumière diaphane de l’aube, cette lumière égale qui efface les couleurs du ciel et gomme ainsi les repères réalistes de l’image. Certaines frôlant même l’abstraction.
Des photos d’une suprême sérénité, réalisées avec une grande maîtrise de la technique traditionnelle (caméra argentique et travail sur le tirage) dans un dépouillement esthétique d’un grand raffinement.
Chez Elger Esser, la photo n’a d’autre objectif que l’expression artistique. Son travail dépasse le cadre de la spacio-temporalité et sort du présent – même quand il opère dans un pays en proie, en avril 2011, aux chamboulements de la révolution! – pour glisser vers une mélancolie diffuse qui fait si justement écho aux photographies du XIXe siècle.
Ce lien subtil avec la photographie ancienne est mis en évidence dans l’exposition «Voyage en Égypte» que lui consacre la galerie Sfeir-Semler* en parallèle avec celle des photographes orientalistes du XIXe. Une centaine de clichés certifiés «vintages», datant de 1860 à 1890, et appartenant à la collection de la fondation Peter Herzog à Bâle. Ils déclinent des vues paysagères de villes, d’intérieurs, des scènes de genres ou encore des portraits présentés sur un parcours allant du Liban à l’Afrique du Nord, en passant par la Syrie, la Palestine (le volet le plus dense) et l’Égypte.
Certaines sont colorisées, d’autres ont la particularité d’être assez inhabituelles, d’autres encore ont cette dimension «faussement» ethnographique très prisée à l’époque, comme ces photos réalisées en studio, sur un fond de faux décor naturel et montrant les autochtones en tenues d’indigènes!
Il est difficile d’énumérer ici l’ensemble des images intéressantes. Elles sont aussi nombreuses que variées. Et elles vont de l’exotique Lionne du Marabout photographiée, par Jean Geiser, en 1880, docilement assise devant un groupe de Bédouins à Oran, à la biblique scène des porteuses d’eau revenant du Puits de la Samaritaine à Naplouse (photochromie, 1890). Elles immortalisent, bien évidemment, de nombreux sites antiques de Baalbeck aux pyramides d’Égypte mais racontent surtout, à travers les regards de photographes le plus souvent étrangers, celui du fameux Bonfils notamment, les mœurs et coutumes passées... Ces réunions d’hommes, en extérieur, à l’ombre d’une terrasse à Tunis, celles, à huis clos, des femmes de Bethléem autour d’un café, les caravanes de transport de barils d’eau dans les régions désertiques, les pèlerins face au mur des lamentations...

Retour vers le passé
Certaines offrent un probant témoignage de l’évolution et de l’expansion des villes et des architectures, comme cette Vue de Beyrouth prise du 5e kilomètre de la route de Damas (tirage albuminé, 1880), montrant un paysan en «cherwal» poussant âne et cheval à travers une route bordée de clairières ponctuées de quelques maisons en terre battue... qui correspondrait aujourd’hui à la région de Furn el-Chebbak.
Parmi les témoignages aussi rares qu’expressifs: la vitrine de photos tirées du «premier livre sur La Mecque, qui avait été édité en Allemagne en 1888», assure Andrée Sfeir-Semler. Elle montre, aux côtés de portraits de pèlerins, de marchands indiens, de fonctionnaires turcs et de leur progéniture, des femmes dans leurs intérieurs fumant voluptueusement le narguilé, certaines même à visage découvert!
Retour vers le passé ou voyage en intemporalité? À la galerie Sfeir-Semler, cette double expo-photo explore ces deux perspectives. À découvrir, jusqu’au 29 octobre.

* Secteur pont de la Quarantaine, imm. Tannous, 4e étage. Horaires d’ouverture : du mardi au samedi, de 11h00 à 18h00. Tél. : 01/566550.
Les bords du Nil. Plus d’un siècle d’intervalle – mais aussi différents formats, techniques et optiques de travail – sépare le petit cliché (tirage albuminé, datant de 1885 et imputé aux frères Zangaki) immortalisant d’anonymes voyageurs et leurs chameaux se rafraîchissant au bord du mythique fleuve égyptien, des images, en grand format, prises par le photographe...

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