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Culture - Festival de Baalbeck

Le jeu miraculeux de Abdel Rahman el-Bacha

Une musique qui défie le temps et les vieilles pierres. Sous les doigts en or de Abdel Rahman el-Bacha, qui n’en est pas à sa première prestation au temple du Soleil, l’ivresse de l’enceinte de Bacchus décapitée de son chapiteau est passée jusqu’aux partitions interprétées.

Abdel Rahman el-Bacha au piano dans l’enceinte de Bacchus, un moment hors du temps... (DR)

Un moment hors temps et d’une grande qualité pianistique malgré toute la vaine agitation environnante...
Avec trente-cinq minutes de retard sur l’horaire annoncé (pourtant dit précis sur les billets), d’incroyables bruyantes allées et venues du public malgré les premières mesures du clavier de Abdel Rahman el-Bacha déjà sur scène et les flashs dérangeants des portables et des photographes, sans discontinuer tout le long du concert, sans aucun souci de concentration pour l’artiste et l’audience, le songe bleu des vieilles pierres au temple de Bacchus, enrobé d’une musique aux teintes à prédominance romantique, a commencé...
Égal à lui-même, à son talent, à ses choix judicieux, à son calme olympien, à son menu concocté toujours avec subtilité et raffinement, Abdel Rahman el-Bacha a proposé aux festivaliers mélomanes de Baalbeck un moment unique, fascinant et riche en accents ouverts sur le rêve et un monde sonore enchanté. Au menu donc, des pages de Beethoven, Schubert, Chopin, Prokofiev, Ravel et el-Bacha lui-même.
Ouverture avec la splendide et somptueuse sonate n21 en ut majeur, op 53, dite Waldstein et dédiée justement au comte Fernand von Waldstein. Trois mouvements pour une narration de presque une demi-heure entre douces morsures des touches et cadences accélérées. Émotions éruptives pour des interrogations brûlantes avec en filigrane des phrases rageuses et emportées. Entre arpèges courroucés et sève bouillonnante, ledit pianistique beethovenien a ici un interprète au-dessus de tout éloge.
Pour prendre le premier relais, un lumineux et bref impromptu (en si bémol majeur op 142 n3) du compositeur des « lieds » où, entre sourire et larmes, s’écoulent, dans une « céleste longueur », des paysages nés de l’instant-improvisation...
Et arrivent, indolentes et languides, les phrases au long cou du pèlerin polonais avec ce translucide Nocturne en ut mineur, op 48 n1. Chopin et son cortège de notes luminescentes comme des lucioles dans une nuit de velours, qui se marie si bien au firmament de la Békaa même s’il est toujours embrasé par des feux d’artifice intempestifs...
Encore Chopin. Puissant et magnétique avec la cavalcade et la charge de cavalerie du « maestoso » de la Polonaise héroïque où, entre grappes de notes opalescentes comme des lustres débordant de lumière et « rubato » agressif, se déploie une mélodie comme un farouche salut de combat, un vibrant élan de nationalisme.
En parlant de mélodie, le pianiste se saisit justement d’une mélodie de Adel Wahab, prince de la chanson arabe, et brode, en fine dentelle, un ravissant crochet de notes orientalo-occidentales. Une superbe narration qui rend hommage aussi bien à un compositeur égyptien inspiré qu’à... Bacchus. Ivresse des notes pour une variation éthérée et légèrement sensuelle.
Les sarcasmes op 17 de Serge Prokofiev rendent cinq jouissives images sonores, d’une délicieuse impertinence, d’une narquoise irrévérence. Avec ironie, malice, verve et un humour mordant, ce musicien iconoclaste exerce son talent en décapant Dorian Gray sur les touches d’ivoire...
Pour conclure, un véritable morceau de bravoure enlevé haut la main. Il s’agit du Gaspard de la nuit de Ravel. Triptyque pour piano sur un poème retraçant la noirceur et les beautés baroques du Moyen Âge. Des giclées de l’Ondine aux accents ténébreux des pas lourds du gnome Scarbo au souffle lunaire et blafard du Gibet, le piano atteint dans ces pages des sommets exceptionnels, admirablement rendus par el-Bacha qui n’ignore ou ne camouffle aucune nuance, aucune teinte, aucun silence ou reflet. Voilà une qualité du toucher supérieure.
Salve d’applaudissements et standing ovation pour une prestation magique, aux multiples périls dont l’artiste triomphe par un jeu adroit, miraculeux et limpide. En bis, encore Chopin et les frémissements de sa poésie diaphane. Comme ces vieilles pierres bleutées, assoupies par le temps et brusquement réveillées et rafraîchies par un songe aux fluides reflets nocturnes et aquatiques...
Un moment hors temps et d’une grande qualité pianistique malgré toute la vaine agitation environnante...Avec trente-cinq minutes de retard sur l’horaire annoncé (pourtant dit précis sur les billets), d’incroyables bruyantes allées et venues du public malgré les premières mesures du clavier de Abdel Rahman el-Bacha déjà sur scène et les flashs dérangeants des portables...

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