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Plus forts que le verbe

Lorsque les faits parlent d'eux-mêmes, lorsqu'ils sont clairs comme une eau de source, nul besoin alors d'argumenter, de défendre un point de vue, de tenter de prouver une théorie précise.
Le « Amid » du Bloc national Carlos Eddé s'est lancé dans la bataille électorale au Kesrouan-Ftouh afin de donner, sans aucune équivoque possible, toute sa dimension politique au scrutin. Comme il l'a souligné d'entrée de jeu lors de l'annonce de sa candidature, et comme ne cessent de l'affirmer aussi les ténors de la coalition du 14 Mars, l'enjeu véritable des prochaines élections législatives porte sur un choix fondamental, existentiel, entre deux projets de société, deux visions du rôle et de la place du Liban dans la région. Pour les électeurs (et il n'est pas inutile de le rappeler le plus souvent possible, quitte à paraître se répéter), il s'agira de se prononcer sur l'alternative suivante : le projet d'édification d'un État réellement souverain, bénéficiant du monopole de l'usage des armes et de la décision de guerre et de paix, qui opterait pour la réactivation de l'accord d'armistice de 1949, et donc pour une neutralité vis-à-vis des aspects militaire et sécuritaire du conflit du Proche-Orient, ce qui permettrait d'engager le pays sur la voie de l'essor socio-économique ; ou le projet de société guerrière, de « société résistante », prôné par le Hezbollah (soutenu sur ce plan par ses alliés) et qui revient à entraîner le Liban dans une série de guerres et de crises régionales successives qui ne pourraient qu'inhiber encore plus une économie nationale déjà à bout de souffle.
D'aucuns, notamment dans les rangs du CPL, tentent de minimiser, de banaliser cette dimension politique du scrutin. Ils s'emploient ainsi à réduire l'enjeu de la bataille électorale à des considérations purement clientélistes, liées à des calculs essentiellement locaux, familiaux ou claniques. Rien d'étonnant à cela puisque les initiateurs de la banalisation deviennent totalement à court d'arguments et ne peuvent pas tenir la route si le débat est transposé sur un terrain hautement politique.
Mais face à ceux qui mettent en doute un tel enjeu du scrutin, il n'est donc pas nécessaire de prendre la peine de développer une argumentation rationnelle et cohérente très détaillée car les faits sont parfois plus forts, plus explicites, que le Verbe. Preuve en est...
Le démantèlement par les autorités égyptiennes d'une cellule accusée d'être directement liée au Hezbollah et d'avoir planifié des « opérations subversives » en Égypte, et la reconnaissance par Hassan Nasrallah que le chef de ce groupuscule est effectivement un responsable du Hezbollah, qui avait pour mission d'assurer un « soutien logistique » au Hamas, constituent l'une des manifestations de l'agenda spécifiquement régional, donc non libanais, voire peut-être non arabe (puisque commandité par Téhéran) du parti chiite. Les accusations de la justice égyptienne sont d'autant plus graves que les activités de cette cellule sont perçues au Caire comme une menace pour la sécurité nationale égyptienne. Le leader du Hezbollah n'avait-il pas d'ailleurs publiquement incité, lors de la guerre de Gaza, l'armée et le peuple égyptiens à descendre « par millions » dans la rue afin de s'élever contre la politique du régime Moubarak ?
En d'autres circonstances et en d'autres lieux, un tel comportement aurait été considéré comme un casus belli, ou tout au moins aurait eu des retombées fâcheuses sur les relations entre les deux pays. Et le cas de l'Égypte n'est pas le seul qui se pose à cet égard. Il y a plus de deux semaines, le président yéménite avait accusé, dans une interview au Hayat, « des cadres du Hezbollah » d'avoir entraîné « à Beyrouth et au Yémen » des éléments des « Houthiyine », branche de l'islam très proche du chiisme, en conflit ouvert avec le pouvoir en place et accusée d'être alliée à la République islamique iranienne.
Tout le débat, tout le différend, sur la scène locale depuis plus de trois ans porte sur ce point précis : est-il concevable qu'un parti entraîne le pays tout entier dans une guerre globale, comme ce fut le cas en juillet 2006, ou mette en danger les rapports du Liban avec certains pays amis en prenant des initiatives unilatérales, sans aucune concertation préalable avec une quelconque partie locale, même au sein de la communauté chiite ? Le directoire du Hezbollah justifie un tel comportement en faisant valoir les impératifs de la lutte contre Israël et du soutien à la résistance palestinienne. Sauf que depuis 1973, et exception faite évidemment du peuple palestinien, le Liban est devenu le seul pays de confrontation dans la région alors que la plupart des pays arabes parties prenantes dans le conflit ont soit signé des accords de paix, soit établi des relations diplomatiques, soit entretenu des rapports économiques étroits avec l'État hébreu (comme le Qatar qui n'hésite pas à recevoir publiquement les dirigeants israéliens).
Comme l'a soulevé récemment Fouad Siniora, la Ligue arabe avait classifié les pays arabes, dans les années 60, en « pays de soutien » et « pays de confrontation » pour ce qui a trait au conflit avec Israël. Or depuis 1973, les pays de confrontation ont fait la paix ou ont observé scrupuleusement la trêve avec Israël, alors que le Liban, classé à l'époque « pays de soutien », est devenu le seul pays de confrontation pour servir, de surcroît, des desseins régionaux (ceux de la Syrie et de l'Iran) qui, le plus souvent, sont totalement étrangers à la nature et à l'essence du problème israélo-palestinien. Est-il donc concevable que le Liban soit depuis 36 ans le seul pays de confrontation du monde arabe et que certains États classifiés de « confrontation » fassent de la surenchère en prônant la « résistance », mais limitée au sol libanais ? Est-il admissible d'admettre que le processus d'édification d'un État central souverain soit inhibé, entravé, torpillé, soumis à des lignes rouges afin de préserver ce rôle de seul terrain de confrontation dans la région ?
C'est donc en ces termes que se pose aujourd'hui l'enjeu de la bataille électorale. Et en posant sa candidature au Kesrouan afin de donner une dimension politique à cette consultation populaire, Carlos Eddé a voulu précisément ramener le débat à ce niveau fondamental au sein même des milieux chrétiens, et plus particulièrement dans une région considérée comme une place forte du courant aouniste. La démarche du « Amid » est d'autant plus louable et salutaire que le CPL et ses alliés électoraux, en persistant dans leur alliance qualifiée de stratégique avec le Hezbollah, se sont faits objectivement les complices directs du parti chiite dans ses options guerrières et ses aventures régionales. En observant le mutisme et en assurant une couverture chrétienne à la ligne de conduite du Hezbollah, le CPL et ses alliés électoraux se placent pratiquement dans le camp qui cherche depuis 2005 à saper les fondements et l'esprit de la révolution du Cèdre. Qui ne dit mot consent, souligne fort à propos le dicton populaire. Aux électeurs, donc, de trancher le débat ■
Lorsque les faits parlent d'eux-mêmes, lorsqu'ils sont clairs comme une eau de source, nul besoin alors d'argumenter, de défendre un point de vue, de tenter de prouver une théorie précise. Le « Amid » du Bloc national Carlos Eddé s'est lancé dans la bataille électorale au Kesrouan-Ftouh afin de donner, sans aucune...
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