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Faux débat, vrais problèmes

Ils sont quatre juges bien de chez nous, dont une femme, et ils jouissent tous d'une haute considération morale. Comme l'exige très explicitement le cahier des charges de l'ONU, ces quatre magistrats sont connus en effet pour leur solide expérience, mais aussi pour leur indépendance et leur intégrité, pour leur capacité à résister à toute sorte d'instructions, que celles-ci émanent de gouvernements ou d'autres sources qui, pour être moins officielles, ne sont pas moins agissantes. Et ce sont ces quatre juges qui siégeront, aux côtés de sept autres confrères non libanais, dans les deux Chambres de première instance et d'appel du Tribunal spécial pour le Liban.

 

Nul évidemment ne saurait prédire la durée de leur délicate mission. Compte tenu du caractère extrêmement sensible des affaires qu'ils auront à traiter, on peut avoir des doutes sur la possibilité de leur retour au Liban, peut-on même lire dans une documentation conjointement élaborée par la Fondation Friedrich Ebert et le Centre international pour la justice transitionnelle. Toujours est-il que ces quatre courageux serviteurs de justice internationale, il va falloir assurer leur protection, ainsi que celle de leurs familles, et des crédits viennent d'être alloués à cette fin par un Conseil des ministres séchant depuis des mois, pourtant, sur la question du budget. C'est bien le moins qu'on pouvait faire. Si fréquentes et opiniâtres toutefois sont les objections, réserves et autres chicaneries opposées par d'aucuns à tout ce qui touche à la bonne marche de la justice, que cette rare et généreuse unanimité surprend fort agréablement.


Pas de réjouissances prématurées cependant, l'obstruction est ailleurs, et elle ne donne aucun signe d'essoufflement, bien au contraire. Un des signes en est cette ahurissante discussion byzantine sur l'engagement du Liban à coopérer totalement avec le Tribunal spécial : question que tranchait pourtant la convention conclue avec l'ONU et portant création de cette juridiction d'exception saisie de tous les crimes terroristes commis ces dernières années contre notre pays.


Requis par le procureur international Daniel Bellemare, un document libanais devait réaffirmer les mêmes et bonnes dispositions auxquelles, de toute manière, était déjà tenu le Liban. Mais pourquoi ce mémorandum d'entente préparé par le ministre de la Justice, qui n'était en réalité qu'une formalité, qui reprenait littéralement l'accord de coopération signé, celui-là, avec la commission d'enquête internationale, n'a-t-il pas été acheminé par la simple voie administrative ? Pourquoi a-t-on jugé bon de le soumettre à l'examen du Conseil des ministres, ce qui en faisait automatiquement, inévitablement, matière à polémique ? Et s'il n'y a là en définitive qu'un faux débat comme on nous l'assure, si l'on œuvre seulement à apporter des retouches de pure forme au texte, pourquoi donc les travaux de la commission ministérielle ad hoc traînent-ils en longueur ?


C'est dire que si le climat entourant le bras de fer libanais s'est sensiblement tempéré depuis peu, les enjeux demeurent inchangés. Expression d'une amorce de détente régionale, l'accord de Doha avait relégué dans l'histoire (du moins veut-on le croire) les démissions fracassantes de ministres, l'occupation du centre-ville de Beyrouth, la fermeture prolongée du Parlement et le sanglant coup de force milicien de mai dernier : tous développements derrière lesquels se profilait, de toute évidence, la hantise du Tribunal. Les toutes dernières réconciliations interarabes - syro-saoudienne notamment - ont eu, de même, des retombées immédiates sur la scène locale. Le discours politique s'est passablement modéré et les présidents Nabih Berry et Fouad Siniora se sont même retrouvés à souper chez le chef de l'État Michel Sleiman.


Derrière les sourires et les accolades demeurent néanmoins deux constantes intimement liées, interdépendantes, que le président syrien Bachar el-Assad n'a pas craint de définir d'ailleurs : un tribunal politisé (comprendre un tribunal qui se hasarderait à s'en prendre à la Syrie), c'est un Liban implosé ; et un Liban en paix ne peut être qu'un Liban de consensus. C'est-à-dire de gouvernement d'union. C'est-à-dire encore d'obstruction et de blocage. À ce sombre avertissement, on reconnaîtra du moins le mérité de la clarté.

Issa GORAIEB
igor@lorient-lejour.com.lb

Ils sont quatre juges bien de chez nous, dont une femme, et ils jouissent tous d'une haute considération morale. Comme l'exige très explicitement le cahier des charges de l'ONU, ces quatre magistrats sont connus en effet pour leur solide expérience, mais aussi pour leur indépendance et leur intégrité, pour leur capacité à résister...