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Justice, mode d’emploi

Pourquoi certains, et pas certains autres ? Et pourquoi y a-t-il fallu tout ce temps ? Assez troublante, de prime abord, est la décision du parquet de remettre en liberté trois des sept personnes détenues depuis près de quatre ans en relation avec l'affaire Hariri : troublante d'abord parce qu'elle survient à la veille même de l'entrée en activité du Tribunal spécial pour le Liban ; troublante ensuite parce qu'elle n'a fait l'objet d'aucune explication formelle.

 

C'est pour recel d'informations, pouvant aiguiller l'enquête sur de fausses pistes, que l'un des trois individus en question avait été mis en arrestation préventive, les deux autres ayant eu à répondre d'accusations de franche complicité. La durée de telles mises en examen est laissée à la discrétion du juge d'instruction dès lors qu'il s'agit d'affaires liées au terrorisme ou à la sécurité nationale ; or le magistrat a apparemment estimé que leur élargissement n'était plus susceptible de gêner le déroulement de l'enquête. Des trois hommes qui ont été accueillis en héros, avec force tirs de joie, par les leurs, on ne sait pas en définitive s'ils ont assez payé pour le rôle de comparse qui leur était reproché ou si quelque suite (et poursuite) judiciaire attend seulement de les rattraper. Seront-ils toujours, alors, à portée de la justice ? À ce propos, on ne peut que songer aux allées et venues, à travers la frontière est, de ces personnages recherchés par le tribunal militaire et qui, tout récemment, ont quitté leur refuge syrien pour regagner le pays sinon en héros, du moins en VIP : admis à emprunter la voie express réservée aux déplacements des visiteurs de marque et des protégés, ils ont franchi sans le moindre problème le contrôle de la Sûreté générale libanaise...

 

Plus particulier est évidemment le cas des quatre généraux dont les demandes de libération ont été rejetées, ne serait-ce qu'en raison de la gravité des soupçons qui continuent, jusqu'à nouvel ordre, de peser sur eux : meurtres avec préméditation, tentatives d'assassinat et actes terroristes. Un autre argument commandant leur transfèrement à La Haye pourrait bien être la nécessité de protéger la vie ou l'intégrité physique de ces haut gradés qui, sous l'occupation syrienne, eurent la haute main sur la situation sécuritaire. Un suicide, vrai ou faux, est si vite arrivé en effet ; et le mystère qui continue d'envelopper le hara-kiri du général syrien Ghazi Kanaan, qui eut à déposer devant la commission internationale, est là pour le rappeler. Une dernière raison serait que ces quatre officiers, ou du moins l'un ou deux d'entre eux, n'ont pas perdu toute influence au sein des départements dont ils avaient naguère la charge ; dès lors leur libération, même surveillée, pourrait perturber d'autant la suite des investigations.


Il est clair hélas que dans toute cette sombre affaire, ce n'est pas à la justice libanaise qu'échoit le premier rôle, c'est-à-dire le beau. Encore faut-il se garder de tout jugement excessif et de faire preuve d'injustice... envers la justice. Car nombre de pays bien mieux constitués pourtant que le nôtre n'auraient pas été en mesure, eux non plus, de gérer un dossier aussi explosif et complexe, renfermant autant de prolongements extérieurs et de retombées locales que la série d'attentats criminels qui a visé un si grand nombre de chefs politiques et de leaders d'opinion libanais. Comme l'a fait le Liban, c'est avec soulagement que ces pays auraient passé l'ardente braise à une instance internationale, ce qui eut entraîné pour eux l'obligation absolue, consignée par accord formel avec les Nations unies, d'obtempérer aux moindres demandes de celle-ci. Pour autant, on ne suivra certes pas ceux qui ont vu dans les trois remises en liberté une preuve éclatante de la carence de l'appareil judiciaire libanais, mais aussi du parti pris affectant l'enquête internationale et donc de l'innocence des quatre généraux. À ce genre de discours a paru répondre hier le message du procureur Daniel Bellemare aux Libanais, assurant qu'il ne sera influencé par aucune considération politique et que le tribunal ne sera pas instrumentalisé.


Car s'il est vrai que Dame Justice est encore loin de s'être refait une virginité ; si le rapport annuel du département d'État américain sur l'état des droits de l'homme condamne sévèrement, entre autres aberrations libanaises, les arrestations arbitraires et tortures pratiquées par les forces de l'ordre ; si Amnesty International enfonce le clou en déplorant la persistance du règne de l'impunité dans notre pays, on ne répétera jamais assez que la quête d'un État de droit est vaine et même mensongère tant que l'on n'a pas commencé par le commencement : c'est-à-dire l'édification d'un État tout court.


Il est des lamentations qui ne sauraient tromper personne. Le b. a.-ba de toute justice, ce n'est pas ici une juteuse tranche de budget à la carte, et là une armée privée et un État dans l'État. Ce n'est pas, surtout, une hostilité affichée dès la toute première heure au projet de tribunal devenu réalité.

Issa GORAIEB

igor@lorient-lejour.com.lb

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