Les maisonnettes furent érigées sous les arcs d’une muraille d’enceinte par les archers du château, en vertu d’un décret promulgué par l’empereur germanique et roi de Bohême Rodolphe II (1552-1612), grand amateur d’art et collectionneur passionné. À la différence des autres parties du château, splendidement construites pour servir de siège aux rois, c’est un peuple ordinaire qui vivait dans la Ruelle d’or, entre le XVIIe et le XXe siècle. « Une couturière, une herboriste, un orfèvre ou bien la célèbre voyante Madame de Thèbes. Chaque maisonnette a sa propre histoire », énumère M. Jiras. « Il y a une grande beauté dans la vie humble de ces gens-là, une tendresse mais aussi une magie mystérieuse. Quel contraste avec notre époque, agressive et cruelle », ajoute l’historien. Contrairement à une légende très répandue et sans cesse alimentée par des guides, la ruelle n’a jamais servi de demeure aux alchimistes de Rodolphe II, s’évertuant à transformer le plomb en or.
Mme Kveta Zrustova se souvient très bien de ce jour de printemps 1938, où elle est entrée dans la maisonnette n° 14 pour demander un conseil à Madame de Thèbes, de son vrai nom Magdalena Prusova. « J’avais dix-huit ans et j’ai voulu savoir comment se passerait mon baccalauréat », raconte la dame de 91 ans, avec un sourire espiègle. « Je n’en menais pas large. Madame de Thèbes était assise dans un coin, un chat sur l’épaule. Puis elle a commencé à étaler les cartes sur la table », se rappelle Mme Zrustova qui a parfaitement réussi son bac, il y a trois quarts de siècle. « Il y a toujours dans cette maison cet esprit, ce côté mystérieux », assure-t-elle. Le sort de Madame de Thèbes a été triste : elle a perdu son mari et son fils pendant la Première Guerre mondiale, et elle est morte lors d’un interrogatoire à la Gestapo, après avoir prédit l’échec du IIIe Reich.
Parmi les habitants de la Ruelle d’or a également figuré Franz Kafka (1883-1924), écrivain pragois de langue allemande, qui y cherchait l’inspiration en 1916-17. « C’est dans la maison n° 22 que Kafka a écrit les narrations parues dans le recueil Un médecin de campagne », explique Gabriela Cinkova, responsable d’une boutique de livres aménagée dans cette maison. « Tout le monde ne sait pas que Kafka était aussi illustrateur », indique Mme Cinkova, montrant un petit livre avec les dessins de l’écrivain, à côté de ses romans, L’Amérique (ou le Disparu), le Procès et le Château.
Les derniers habitants ont dû quitter la Ruelle d’or, jadis appelée aussi Ruelle des orfèvres, peu après la prise du pouvoir par les communistes en 1948. Selon Ivo Velisek, directeur de l’administration du Château de Prague, la reconstruction qui vient de s’achever a été la plus vaste dans l’histoire de la ruelle. « Il y a eu longtemps deux habitants permanents : un couple de chouettes hulottes. Elles sont parties il y a cinq ans, elles sentaient peut-être que quelque chose n’allait pas. Mais elles sont revenues ce printemps, comme si elles voulaient nous dire la Ruelle d’or vit à nouveau », sourit M. Velisek.
(Source : AFP)
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