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Culture - Photos

Nadim Asfar : levées d’émotions photographiques

Elles sont là, en petit nombre, offertes au regard du visiteur de ces locaux bancaires tranquilles du centre-ville. Les « Constellations et profondeurs des champs » du photographe Nadim Asfar, une exposition organisée par Nada Boulos al-Assaad en collaboration avec l'Espace Kettaneh Kunigk, se fondraient presque dans les tonalités grises et noires de l'architecture intérieure de la FFA Private Bank*.

(Michel Sayegh)

Et pourtant elles habitent l'espace avec une force qui leur est tout à fait particulière, celle du quotidien. Sur des quasi-carrés de 120 cm par 130, des clichés urbains, pris d'un balcon à des heures où la lumière convenait à l'artiste. « C'est une démarche étalée sur un temps très long », explique celui-ci. « Je venais d'emménager dans un nouvel appartement, j'avais un nouvel appareil et le bruit incessant de la rue sous mon balcon m'avait d'abord oppressé. Apprivoiser cette scène, toujours la même et à la fois tout le temps changeante, m'a donné un rythme et de l'apaisement ». Aucune « ambition narrative », mais plutôt un questionnement : « L'art est-il reproductible ? Comment naît un lieu ? Quelle est son identité ? » Nadim Asfar, qui repousse la « vision actuelle très pornographique de Beyrouth », tenait absolument à placer son travail « en dehors de cela » : « Je me suis intéressé à un lieu complètement abstrait, en bas de chez moi. Un bout de rue, avec son attirance, une ou plusieurs personnes, la lumière : j'y ai trouvé de l'aura. » En effet, le spectateur commence par observer les constellations dans leur ensemble, puis, insensiblement, s'approche et regarde les images une par une. « Mon approche est aussi ludique, via le rapport avec le très petit, les infimes détails sur les voitures : autocollants, boîtes de mouchoirs, chapelets, etc. Quant aux passants, ils errent, sans repères, parce que c'est Beyrouth. Ces photos ne sont pas l'application d'une méthode : j'ai essayé de les reproduire ailleurs mais ça n'a pas marché. Les gens n'ont pas le même corps. »

Constellations et hallucinations
À observer un lieu aussi familier d'aussi près, de nouvelles émotions se lèvent, parfois à l'insu du visiteur, phénomène qui est le point fort des œuvres ici présentées. Nadim Asfar dira que « l'œil alors dépasse le cadre et on commence à voir d'autres choses ». « J'ai choisi le titre de « Constellations » en souvenir des constellations de Calder : il y a dans ces moments photographiés une recherche d'équilibre tout autant qu'un inversement du monde. Et si les constellations sont par définition célestes, je me suis retrouvé à halluciner sur des voitures... ». Il s'agit assurément de « moments fragiles » - « Comment ce moment aurait pu ne pas être ? » -, d'une « chorégraphie du quotidien », qui a un effet cathartique sur le photographe, « réconcilie avec le bruit du lieu »... Plus longuement encore, et c'est la découverte de nouvelles lignes, celles des fils électriques qui, apparaissant sur d'autres instants photographiés, contribuent à créer une nouvelle géographie sur la carte de l'asphalte dessinée par l'artiste.
Les trois photos en noir et blanc rassemblées sous le titre « Profondeurs des champs » possèdent le même magnétisme entêtant : a priori, quoi de plus banal que des vues depuis une fenêtre ? Mais que celles-ci soient à Baalbeck, au centre-ville de Beyrouth ou dans une cité inconnue sous la pluie, c'est « la fragilité de l'instant qui fait sens ». Sens et surtout sensation, encore une fois, car Nadim Asfar tient à emporter le regard au-delà de ce qui paraît sur le papier. S'il ne fallait se déplacer que pour elle, la photo de Baalbeck, dans sa nuit à peine interrompue par les temples éclairés, la lampe de l'hôtel où le photographe, dont l'ombre se découpe et se déploie peu à peu, a appuyé sur le déclencheur, et enfin la toute petite fenêtre d'une maison en contrebas des ruines... Comme une gravure admirablement détaillée, cette image emporte littéralement celui qui la lit, la savoure lentement, sans bouger.

*Jusqu'au 10 juin, du lundi au vendredi de 10h à 18h. 01-985195.

Et pourtant elles habitent l'espace avec une force qui leur est tout à fait particulière, celle du quotidien. Sur des quasi-carrés de 120 cm par 130, des clichés urbains, pris d'un balcon à des heures où la lumière convenait à l'artiste. « C'est une démarche étalée sur un temps très long », explique celui-ci. « Je venais d'emménager dans un nouvel appartement,...

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