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Moyen Orient et Monde - Feuille de route

Effondrement

À Souhair Atassi et tous ses compagnons de geôle.
À Farouk Mardam-Bey. Frère, Samir Kassir avait raison : ton peuple est vraiment grand.
Le régime syrien peut évidemment s'accrocher, et continuer à tirer sans vergogne sur son peuple pour prolonger son sursis. Les morts ont une voix de stentor, retentissante, tonitruante. Ils ont même un avantage sur les vivants : il est bien plus difficile de les faire taire, puisque leur colère gronde désormais en chacun de nous. Cela, le régime en question en a fait l'expérience au Liban en 2005. Mais qu'en a-t-il appris ? Absolument rien.
Le régime syrien peut en effet encore s'accrocher, et ne choisir d'écouter que les louanges obscènes de leurs séides libanais qui, ici, vantent sur les tons les plus serviles « la sagesse » du président syrien. Bachar el-Assad peut effectivement donner l'ordre d'interdire les satellites et l'Internet, de confisquer tous les téléphones mobiles, de prohiber les mots « Facebook » et « Twitter », d'obliger son peuple à se crever les yeux, à se mettre de la cire dans les oreilles ou même à se faire lobotomiser pour faire oublier l'épilogue des dieux Ben Ali et Moubarak. Il peut même, tiens, donner l'ordre de faire arracher des livres d'histoire toutes les pages qui concernent les années 1989-1991, pour se convaincre que Ceausescu, Gorbatchev, et tous ceux, avant ou après, qui ont mordu la poussière devant la déesse Liberté, n'ont jamais existé. La réécriture de l'histoire, c'est possible. Il peut même faire appel à ceux qui, au Liban, sont passés maîtres dans l'art de la falsification de l'histoire.
Encore une fois, tout cela ne servira plus à rien. En deux semaines, c'est en effet une série de mythes entretenus par le régime Assad durant quatre décennies qui se sont effondrés face à la bravoure de quelques milliers de citoyens syriens décidés à affronter la mort pour retrouver à nouveau le cours de l'histoire et de la modernité.
Bachar el-Assad peut bien contraindre les fonctionnaires de l'État, les étudiants, les écoliers à l'acclamer dans la rue et à se prosterner piteusement pour vénérer ses portraits à genoux. Il peut aussi organiser tous les jours des joutes poétiques au Parlement et récompenser d'une bénédiction impériale de la main celui des députés qui l'aura le mieux flatté. Il n'empêche que cela ne lui rendra guère la légitimité du régime perdue une première fois lorsque les premières victimes sont tombées à Deraa, puis une deuxième durant son discours devant le simulacre de Parlement syrien, qui aurait rendu fou de fierté Staline ou Assad père.
Symboliquement, le régime est en effet déjà tombé. Son honneur est tombé dès qu'il a ouvert le feu sur les siens, sans même que le président juge valable de présenter le moindre propos de condoléances aux familles des victimes, chargeant sa conseillère de s'adresser au peuple dans un geste de mépris souverain. Son autorité est tombée dès que le mur de la peur a été brisé et que les premiers slogans hurlant à la trahison et appelant à la chute du régime ont été lancés, malgré la répression systématique par les armes. Son image s'est effondrée avec les statues et les images des deux dictateurs, abattues et déchirées dans toutes les zones de contestation.
Avec sa légitimité, c'est le mythe de la stabilité et aussi, partant, de la vocation extra-muros de ce régime qui est parti en fumée. Quarante ans durant, le régime Assad a garanti sa pérennité en vendant allégrement à Israël et l'Occident l'idée selon laquelle son monolithisme supérieur au temps et aux hommes faisait de lui l'allié objectif le plus solide, le plus fiable qui soit. Le peut-il encore, au stade de décomposition actuel ? C'est au contraire désormais grâce au soutien infaillible de l'État hébreu et d'amis fidèles bien placés dans les cercles officiels de Washington, Londres ou Paris, qu'il doit compter pour sa survie. Dans cet esprit, peut-il encore aspirer jouer un rôle quelconque au Liban ? Stable, ce régime déstabilisait à souhait Beyrouth par des procédés machiavéliques. Instable, saisit-on réellement le danger qu'il constitue pour le pays du Cèdre - et il le prouve tous les jours, puisque c'est lui qui bloque jusqu'à présent le cabinet, en manipulant à souhait nombre d'acteurs locaux. Après tout, le vide institutionnel au Liban n'a-t-il pas toujours été pour lui le cadre idéal lui permettant d'étaler ses talents de pompier-pyromane ? Damas peut-il envisager encore une tutelle sur un pays quelconque ? Ou bien est-ce désormais lui qui a besoin d'une tutelle - et les « conseils » successifs adressés au président syrien ces derniers jours par le Premier ministre turc Erdogan en constitueraient la preuve flagrante ?
Autre mythe définitivement disparu avec la révolution du jasmin, celui du parti Baas comme bastion de la lutte contre Israël au nom d'une arabité conquérante, « résistante ». Comme en Égypte, bien plus même, l'Occident est resté parfaitement silencieux face au soulèvement - décidément bien embarrassant à ses yeux - du peuple syrien, mis à part quelques balbutiements de principe de la part de Washington et Paris. L'on comprend mieux l'embarras occidental à la lumière de ce principe fondateur que constitue la sécurité d'Israël à tout prix. Laquelle sécurité passe par la stabilité et la pérennité du régime syrien, dans le cadre d'une version élargie de l'alliance hautement stratégique des minorités. Depuis plus de trente ans, le Liban paie le prix de cette alliance occulte entre ses voisins. Aujourd'hui, c'est au tour du peuple syrien d'en faire activement les frais, et de se retrouver seul face à l'hydre tentaculaire du pouvoir sécuritaire syrien. Le plus risible, dans tout cela, c'est d'entendre encore à Beyrouth les prosyriens et leurs alliés qualifier le 14 Mars de « satellite d'Israël et des États-Unis », alors que le régime de Damas, lui, ne s'embarrasse pratiquement plus de ce soutien.
Cette grille de lecture permet aussi de comprendre pourquoi tant d'analystes occidentaux pro-israéliens continuent de tenter, inlassablement, d'améliorer l'image de Bachar el-Assad en le faisant passer pour ce qu'il n'est pas, un réformateur, et en feignant d'oublier ce qu'il est réellement : un dictateur de la plus pure école stalinienne. Ces « analystes » se moquent du monde. Bachar el-Assad avait promis des réformes en 2000, lors de son arrivée au pouvoir. Sitôt imaginé par les intellectuels et les démocrates syriens, le printemps de Damas a été étouffé dans l'œuf, par la répression et les arrestations. En juin 2005, Samir Kassir été assassiné à Beyrouth une semaine à peine après son ultime éditorial, « Gaffe après gaffe », qui se moquait justement de l'incapacité du régime syrien à pouvoir se réformer, ou encore de la volonté réelle de Bachar el-Assad de se livrer à ces réformes...
Et la liste est longue... Une certitude cependant. Si effondrement il y a, il faut convenir qu'il est une spécificité, bien définie par feu Michel Seurat, que le régime syrien est loin d'avoir perdue : son état de barbarie, son État de barbarie. C'est d'ailleurs pour cela que le peuple syrien est vraiment grand, vaillant, et qu'il ne s'arrêtera pas, plus. C'est à mains nues, à la bouche un slogan, une chanson, qu'il va défier une mort quasi certaine, alors que dans le monde entier, toutes ces démocraties impotentes contemplent le spectacle, dans le confort et le luxe, superbement impavides.
Le temps est une salope, certainement. Combien doit-il s'en écouler, et combien faut-il de vies humaines fauchées par la terreur pour qu'un peuple regagne enfin sa dignité et son droit à l'autodétermination, une fois fini le temps des grandes déclarations et autres flonflons ?
Le régime syrien peut évidemment s'accrocher, et continuer à tirer sans vergogne sur son peuple pour prolonger son sursis. Les morts ont une voix de stentor, retentissante, tonitruante. Ils ont même un avantage sur les vivants : il est bien plus difficile de les faire taire, puisque leur colère gronde désormais en chacun de nous. Cela, le régime en question en a fait l'expérience au...
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