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Culture - Spectacle

Not for Public : la téléréalité, rigolarde et cruelle, selon Hisham Jaber

Venir, trois soirs de suite, s'asseoir sur le même fauteuil du théâtre al-Madina, tantôt regarder un homme et une femme se battre pour devenir la ou le lauréat d'un programme de téléréalité, tantôt activement participer à l'élaboration de ce temps dramatique de trois fois soixante-dix minutes : c'est le concept porté sur scène par Hisham Jaber trois soirs de suite, de « Not for Public », créée en 2008.

Sous l’œil implacable de la caméra : l’animateur-programmateur omniscient, parfois cagoulé.

«Je voulais des spectateurs qui viennent jouer», explique-t-il au lendemain des représentations, encore encapuchonné dans les - vrais - cheveux hirsutes et le bouc de son personnage, Roberto Obrosli. «Une fois qu'ils ont compris, le premier soir, de quoi il s'agit, ils se mettent à jouer, ce qui rend optimale l'interaction que je recherche entre les deux personnages sur scène, incarnés par Rania Rafeï et moi.» Le spectateur participatif découvre donc, au premier lever de rideau, les éléments immédiatement identifiables du plateau de téléréalité. L'écran géant, où apparaît l'animateur-programmateur tout-puissant, intensément interprété, avec un accent égyptien à couper au couteau, par Wissam Dalati; le panneau publicitaire, où les errements et les scories du monde arabe en prennent pour leur grade via les classiques publicités détournées; le tapis de course à pied puisqu'une téléréalité sans sport, sans le culte du corps, n'est pas une authentique téléréalité; le confessionnal, où les concurrents racontent des histoires intimes pour le moins intenses; la cabine téléphonique, qui établit le contact avec la réalité hors scène; enfin, le plateau lui-même, où Rania et Roberto se battent de plus en plus violemment pour 5000 euros, le perdant étant abattu au pistolet par le vainqueur... «Le premier soir permet aux gens d'avoir le format du Reality Show en tête, qui est un format très présent dans tous les esprits. Alors on peut passer à autre chose.» Not for Public place trois thèmes : l'homme et la femme, «le début de l'humanité, le positif et le négatif»; l'avortement, «la vie avant la vie», mais aussi le viol; enfin, la politique libanais et son schisme 8/14 Mars, qui a affecté la vie d'absolument tout le monde ici.

Pas d'émotions, pas de show
Trois sujets jetés au public qui va, au fil des soirs, affiner et affirmer ses opinions. Se prendre au jeu, qui n'en est pas un... Hisham Jaber se souvient de l'élaboration progressive de Not for Public : «En 2005-2006, j'ai été l'un des quatre producteurs du Reality Show Starting Over, sur la MBC. Ça a été une expérience inoubliable et horrible que de travailler, de manipuler les émotions des gens dans une chambre de contrôle, sur plusieurs écrans différents. Si vous ne contrôlez pas ces émotions, il ne se passe rien, il n'y a pas de show... Puis, en 2007, j'ai commencé à travailler à une pièce sur la pornographie, que j'ai laissé tomber pour écrire celle-ci. » Deux fois par représentation, Rania et Roberto, pendant deux à cinq minutes, rejoignent le public dans la salle, toutes lumières braquées sur lui, et font leur propre publicité pour récolter des votes sous la forme de billets de mille livres. L'audience fait son choix, selon que la confession de l'un ou de l'autre l'a convaincue. Or cette fois-ci, c'est Roberto qui a gagné, mais de peu : «C'est un personnage que j'ai élaboré pour le format du stand-up comedy: il est l'extension extrême de ce mélange d'homme et de femme que sont les jeunes d'aujourd'hui, avec la conscience d'être une star que ceux-ci arborent. Tout en étant populaire, agressif, Roberto a l'âme d'un clown, d'un enfant qui grandit avec des émotions très fortes.» L'évolution de Rania est elle aussi soudaine et violente: de l'oie blanche qui sourit à tout le monde du premier épisode, elle affiche de plus en plus résolument ses opinions pour apparaître, le dernier soir, portant le voile, intense.

Contre l'artiste-secte
Le succès de Not for Public réside dans ce que les frontières entre le réel et la fiction, la vie, la mort, le mensonge et l'authenticité sont totalement floues. Les clins d'œil au genre du Grand Guignol sont évidents et réussis: on a peur, mais pas pour de vrai. Le tragique est apparemment absent, pourtant Hisham Jaber fait remarquer que «la scène du spectateur, qui, à l'issue d'un jeu, vient ramasser l'argent sur le sol du plateau, à côté de Rania morte d'un coup d'arme à feu tiré par Roberto, laisse une trace de tragique assez violente». Bref, sous des dehors de comique caricatural, Not for Public et ses trois volets laissent des traces durables dans la mémoire de ceux qui y ont assisté, que ce soit un certain agacement - en effet, dès le premier soir, certains spectateurs sortants n'ont pas eu envie d'en savoir plus -, de l'indifférence - après tout, la pièce n'évoque, dans le fond et dans la forme, que des concepts et des actualités trop bien connus, voire subis - ou un franc enthousiasme, celui d'avoir adhéré d'emblée au concept d'un théâtre sur trois soirs, participatif, rigolard et cruel. Réponse frontale de l'intéressé: «Je ne suis plus preneur de pièces esthétisantes destinées à une clique. L'artiste, dans un pays comme le nôtre, sur une planète comme la nôtre, telle qu'elle est aujourd'hui, doit parler des problèmes de société. Et c'est l'interaction avec les gens de tous les jours qui m'intéresse, ceux que je croise au café ou au supermarché le lendemain de la représentation. Je suis contre l'artiste-secte.»
Alors, si vous croisez un jour Roberto Obrosli dans une rue de Ras-Beyrouth, n'hésitez pas à prendre le temps de discuter avec le «Doud'» (la version obroslisée du «dude» américain).
«Je voulais des spectateurs qui viennent jouer», explique-t-il au lendemain des représentations, encore encapuchonné dans les - vrais - cheveux hirsutes et le bouc de son personnage, Roberto Obrosli. «Une fois qu'ils ont compris, le premier soir, de quoi il s'agit, ils se mettent à jouer, ce qui rend optimale l'interaction que je recherche entre les deux personnages sur scène, incarnés...
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