Pas d'émotions, pas de show
Trois sujets jetés au public qui va, au fil des soirs, affiner et affirmer ses opinions. Se prendre au jeu, qui n'en est pas un... Hisham Jaber se souvient de l'élaboration progressive de Not for Public : «En 2005-2006, j'ai été l'un des quatre producteurs du Reality Show Starting Over, sur la MBC. Ça a été une expérience inoubliable et horrible que de travailler, de manipuler les émotions des gens dans une chambre de contrôle, sur plusieurs écrans différents. Si vous ne contrôlez pas ces émotions, il ne se passe rien, il n'y a pas de show... Puis, en 2007, j'ai commencé à travailler à une pièce sur la pornographie, que j'ai laissé tomber pour écrire celle-ci. » Deux fois par représentation, Rania et Roberto, pendant deux à cinq minutes, rejoignent le public dans la salle, toutes lumières braquées sur lui, et font leur propre publicité pour récolter des votes sous la forme de billets de mille livres. L'audience fait son choix, selon que la confession de l'un ou de l'autre l'a convaincue. Or cette fois-ci, c'est Roberto qui a gagné, mais de peu : «C'est un personnage que j'ai élaboré pour le format du stand-up comedy: il est l'extension extrême de ce mélange d'homme et de femme que sont les jeunes d'aujourd'hui, avec la conscience d'être une star que ceux-ci arborent. Tout en étant populaire, agressif, Roberto a l'âme d'un clown, d'un enfant qui grandit avec des émotions très fortes.» L'évolution de Rania est elle aussi soudaine et violente: de l'oie blanche qui sourit à tout le monde du premier épisode, elle affiche de plus en plus résolument ses opinions pour apparaître, le dernier soir, portant le voile, intense.
Contre l'artiste-secte
Le succès de Not for Public réside dans ce que les frontières entre le réel et la fiction, la vie, la mort, le mensonge et l'authenticité sont totalement floues. Les clins d'œil au genre du Grand Guignol sont évidents et réussis: on a peur, mais pas pour de vrai. Le tragique est apparemment absent, pourtant Hisham Jaber fait remarquer que «la scène du spectateur, qui, à l'issue d'un jeu, vient ramasser l'argent sur le sol du plateau, à côté de Rania morte d'un coup d'arme à feu tiré par Roberto, laisse une trace de tragique assez violente». Bref, sous des dehors de comique caricatural, Not for Public et ses trois volets laissent des traces durables dans la mémoire de ceux qui y ont assisté, que ce soit un certain agacement - en effet, dès le premier soir, certains spectateurs sortants n'ont pas eu envie d'en savoir plus -, de l'indifférence - après tout, la pièce n'évoque, dans le fond et dans la forme, que des concepts et des actualités trop bien connus, voire subis - ou un franc enthousiasme, celui d'avoir adhéré d'emblée au concept d'un théâtre sur trois soirs, participatif, rigolard et cruel. Réponse frontale de l'intéressé: «Je ne suis plus preneur de pièces esthétisantes destinées à une clique. L'artiste, dans un pays comme le nôtre, sur une planète comme la nôtre, telle qu'elle est aujourd'hui, doit parler des problèmes de société. Et c'est l'interaction avec les gens de tous les jours qui m'intéresse, ceux que je croise au café ou au supermarché le lendemain de la représentation. Je suis contre l'artiste-secte.»
Alors, si vous croisez un jour Roberto Obrosli dans une rue de Ras-Beyrouth, n'hésitez pas à prendre le temps de discuter avec le «Doud'» (la version obroslisée du «dude» américain).