Laurent Poitrenaux, alias Robinson, est debout, immobile au centre de la scène, comme en équilibre. Entièrement vêtu de blanc, les cheveux lissés bien rejetés en arrière, c'est à la fois un mage, mais un Pierrot lunaire. Sur fond de cadre noir, le comédien semble flotter.
«Et maintenant, fermez les yeux», commence-t-il par dire. Durant plus d'une heure trente, il invitera l'audience à plonger avec lui dans une île qu'il va reconstruire lui-même. C'est d'ailleurs par l'image très sensuelle de «Sharon in the River», superbe naïade sortie directement de «Plastic Beach», que va commencer cette plongée en apnée. Tactile, olfactif et sensoriel, son pays magique est fait d'images du passé qu'il décompose pour les recomposer avec le présent. Au moyen parfois d'un cutter, il recrée au montage le propre film de sa vie. Vécue? Rêvée? Simplement imaginée. Des madeleines proustiennes concoctées avec d'autres effluves et arômes, qu'il offre à un public sous hypnose.
Minimaliste et épuré
Parfois la voix du mage se fait polyphonique, c'est qu'elle est multipliée par tous les échos du passé et de tous les chamans, devins, magiciens, sorciers qui l'ont précédée. Poitrenaux, dans une gestuelle minimaliste et quasi chorégraphiée, réinvente des instants de vie et les revit à sa manière en les fragmentant à loisir. Ses bras forment des circonvolutions dans l'espace, ses mains semblent atteindre l'inaccessible. Laurent Poitrenaux nage dans un vert aquatique de ce vert, «suffisamment vert», dira-t-il. À d'autres instants, il vole sur les ailes des mots, bercé par la musique classique/rock/jazz. Toujours les pieds fixes. «Rêve d'être automate». Sa voix impose le silence. Sa respiration rythme les mots. Inspiration. Expiration. L'audience retient son souffle. Elle est accrochée à celui qui insuffle une poésie nouvelle, abstraite, débarrassée de tout moisi, à celui encore qui, par la simple magie de la poétique, a su créer une énorme boule de cristal invisible dans laquelle tout spectateur s'immerge.
Au fil des images projetées, parfois simples sinusoïdes tranchant l'espace, le son monte ou baisse, cadençant les souvenirs. Nietzsche rejoint Hugo et Rimbaud, Balzac se mêle à eux, formant une folle sarabande dans l'espace du temps. La littérature est là, omniprésente, enveloppante. Dans la douceur des mots, la douleur s'efface, morts et vivants sont remis à la juste vitesse et peu importe si par instants on se noie sous un flots de mots, la plongée reste intacte.
commentaires (0)
Commenter