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Culture - Théâtre

Improvisations sur le thème de la violence

« Dissonances et combats », de Nagy Souraty, inspirée de textes de Nasri Sayegh, apporte un souffle libre et paroxystique aux planches du Gulbenkian. Allégorie puissante sur la guerre fratricide, terriblement efficace et cathartique. Comme seules les œuvres noires peuvent l'être.

Une scénographie à la valeur métaphorique et visuelle.

Tous des criminels. Ils le sont tous. Religions, confessions, idéologies confondues. Ils restent des criminels de guerre. Qui vivent en toute impunité. Qui, dans un déni de conscience inouï, n'ont même pas présenté leurs excuses au peuple, aux victimes. Des assassins qui, après avoir commis l'impensable, perpétré des massacres et mille autres atrocités, ont continué à vivre comme si de rien n'était. Et qui ne manqueront pas de retomber dans le cycle infernal, car «la violence est une doctrine libanaise».
La violence. La violence libanaise. Voilà le point de départ de Dissonances et combats, œuvre collective, mise en scène par Nagy Souraty, inspirée de textes de Nasri Sayegh, allégorie scénique des combats, de la brutalité, de l'agressivité... Souraty and crew ont alors imaginé une forme esthétique radicale, un théâtre «uppercut» sur les rythmes oppressants de l'horreur fratricide qui a encerclé le Liban des décennies durant, faisant plus de 200000 victimes et plus de 20000 disparus (ou plus ?).
Mais voilà. «Tel est pris qui croyait prendre», dit le dicton. À jouer avec le feu, les acteurs se sont brûlé les ailes (tatouées en noir sur leurs dos nus). Une fois l'infernale machine en marche, l'équipe aurait été prise à son propre jeu. «Très vite, les énergies sont devenues superlatifs, confesse le metteur en scène. Les débordements nous guettaient... Nous avons frôlé la dépendance au combat et à la violence... Sur scène, les instincts sont devenus grégaires... Nous nous sommes efforcés de nous limiter à l'aspect esthétique de la violence. De canaliser cette énergie négative en quelque chose de positif.»
Les combattants sont alors devenus des anges. Ils ont cherché des états de transcendance pour combattre l'instinct de mort. Et retrouver l'instinct de vie. Tantôt moines bouddhistes, tantôt derviches tourneurs, sans trop y parvenir, et retomber dans le ring d'où ils sortiront la peau rouge et la bouche ensanglantée.
«Parce que l'oubli ne peut effacer les traces de sang... Parce que les criminels ont été amnistiés, parce que les criminels d'hier sont aujourd'hui des acteurs principaux dans les sphères politiques, académiques et culturelles, il m'a semblé indispensable, ne serait-ce que pour témoigner, de trouver quelqu'un qui accepterait de jouer le rôle des criminels», dit le metteur en scène, en précisant toutefois qu'il s'agit là d'une œuvre de pure fiction, et «toute ressemblance avec des situations réelles ou avec des personnes existantes ou ayant existé ne saurait être que fortuite». La pièce s'est alors déployée à trois niveaux, les acteurs devenant tour à tour les criminels, les victimes et les témoins. Des bourreaux assoiffés de sang. Des victimes évoluant dans un entre-deux mondes, anges déchus et tatoués, promenant leur incompréhension et leur colère, chacun criant son nom, son âge, sa confession et la manière dont il est «tombé».
Un théâtre trilingue ou plutôt quadrilingue, car il faut ajouter à l'arabe, au français et à l'anglais le langage du corps, cet autre moyen d'expression qui acquière ici une importance primordiale et qui en dit toujours plus que les mots.
Impossible non plus de ne pas reconnaître l'importance de la scénographie, à la valeur autant métaphorique que visuelle. Dans un univers noir de chez noir, des hommes et des femmes s'entre-tuent, s'entrechoquent et s'affrontent. Danse macabre inspirée des mouvements de la «capoeira» brésilienne. Ils jouent aussi, parfois, les équilibristes sur de grandes soucoupes en métal et ils manipulent des panneaux en bois qui s'effondrent comme des châteaux de cartes. La musique, jouée en live, atteint alors des paroxysmes techno pour se faire, un instant plus tard, éthérée et zen, ou encore mélancolique et déchirante (le chant de Hala Masri).
Nagy Souraty n'est pas un visionnaire. Ni Nasri Sayegh. Ni ces jeunes étudiants et acteurs qui se sont investis corps et âmes dans l'œuvre théâtrale. Ils seraient plutôt des «idéalistes pratiques», à la manière de Gandhi. Des croyants en la non-violence, des opposants à la doctrine de l'épée. Qui paraphrasent Ethel Adnan en affirmant: «Le contraire de l'amour n'est pas la haine. Le contraire de l'amour, c'est la guerre.»
Alors anges ou pas anges, ces êtres parfois diaboliques, parfois pathétiques, sans mémoire ou qui rassemblent toute la mémoire du monde? Anges violents, anges blessés, qui nous ressemblent tant? Qui saurait le dire? Nagy Souraty, peut-être. Ou Nasri Sayegh et leurs semblables. Ces hommes de plume, de théâtre, d'art et de conscience. Qui sont encore les anges gardiens de nos illusions.

* Lebanese American University, théâtre Gulbenkian, ce soir, jeudi 9, vendredi 10, samedi 11 et dimanche 12 décembre. À 20h30 précises. Réservations aux 01/786464 et 03/791314, ext. 1 172.
Tous des criminels. Ils le sont tous. Religions, confessions, idéologies confondues. Ils restent des criminels de guerre. Qui vivent en toute impunité. Qui, dans un déni de conscience inouï, n'ont même pas présenté leurs excuses au peuple, aux victimes. Des assassins qui, après avoir commis l'impensable, perpétré des...

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