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Culture - Le Salon en livres et en rencontres

La langue, seul combat de Nimrod le rebelle

« La Nouvelle Chose française »... D'emblée, le titre de cette collection d'essais en dit long, très long, sur l'esprit du bien nommé Nimrod, philosophe, poète et romancier d'origine tchadienne qui se rebelle contre la « colonisation du français », langue avec laquelle il avoue entretenir « une relation passionnée »*.

Nimrod : « On est toujours d’un pays, peu importe la langue. »

Nimrod, en arabe (namroud), veut dire rebelle. Aucun prénom n'aurait pu mieux coller à la peau de l'indomptable auteur de La Nouvelle Chose française (aux éditions Actes Sud). Une collection d'essais où l'auteur s'interroge sur son «statut d'écrivain exilé» et où il tente de comprendre «ce dont il retourne quand on écrit loin de chez soi, avec des lecteurs et des critiques étrangers à l'univers de notre création».
«Les frontières du français sont plus vastes que celles de l'Hexagone», lance également le poète, romancier et essayiste, né au Tchad en 1959. Nimrod Bena Djangrang vit aujourd'hui en France. Il anime une revue (Agotem, qu'il codirige avec François Boddaert et Gaston-Paul Effa aux éditions Obsidiane). De 1997 à 2000, il a également dirigé la revue Aleph, beth. Il tient une chronique de critique littéraire sur le site Web de la revue culturelle Africultures, intitulée «Phase
critique».
Nimrod a reçu, entre autres, le prix de la Vocation (1989), le prix Louis Labé (1999), la bourse Thyde Monnier de la Société des gens de lettres (2001). Au printemps 2008, il a fait paraître trois ouvrages, qui ont reçu les distinctions suivantes: le prix Benjamin Fondane, le prix Édouard Glissant et le prix Ahmadou Kourouma.
Il a par ailleurs enseigné, en qualité de professeur visiteur, à l'Université du Michigan (Ann Arbor). Nimrod s'est prêté au jeu des questions réponses en toute franchise.

Poésie, essai, roman. Trois voyages qui nécessitent des bagages différents... S'égarer est toujours possible. Cela vous
inquiète ?
«Si cela pouvait constituer la moindre source d'inquiétude pour moi, je n'en rajouterais pas, au contraire. Je suivrais la voie commune, en me spécialisant. Embrasser ces trois registres de la création, n'est-ce pas s'égarer? suggérez-vous. C'est possible. Pour moi, opérer ainsi constitue une source de jouissance immense. Derrière le romancier et l'essayiste, il y a le poète. C'est lui qui distribue les rôles.»

Nimrod le poète, Nimrod l'essayiste, Nimrod le romancier. Et Nimrod le professeur de lettres. Dans quel rôle vous retrouvez-vous le plus ?
«J'ai très peu enseigné dans ma vie. Il m'arrive de le faire par intermittence, avec beaucoup de bonheur, certes, mais c'est la création qui importe d'abord pour moi, et dans les trois genres mentionnés ci-dessus. Leur alternance est indispensable à ma respiration. Avec la prose, j'explore la fiction. Elle permet les projets par la préméditation. La poésie est le mode par excellence de l'inspiration: on ne peut rien préméditer avec elle. Elle survient à l'improviste, brise le cours des événements, bouleverse son théâtre préconçu par un désordre amoureux. L'essai se fait à l'improviste, presque à l'arraché. Je l'exécute en marge ou à la suite du roman et du poème. J'apprécie le changement de rythme que ces trois registres apportent à mon corps car ils lui redonnent un second souffle, l'espoir de créer encore et encore.»

Vous avez lancé une série d'essais chez Actes Sud intitulée « Commerce de l'imagination ». Et vous avez publié La Nouvelle Chose française, où vous ne
ménagez pas vos propos. Combien de combats menez-vous ?
«Un écrivain n'a jamais qu'un seul combat, celui de la langue: elle est l'institution symbolique qui fonde nos sociétés. D'où l'insistance des adultes auprès des jeunes pour les inciter à maîtriser la langue. Car qui domine une langue domine en un certain sens la société. C'est tellement évident lorsqu'on observe les classes bourgeoises (qui veulent aujourd'hui dominer le commerce en se passant de la langue, ce qui est une grossière erreur). Lorsqu'on est africain ou libanais, la langue française doit être arrachée aux clichés coloniaux et postcoloniaux, en plus de la domination qui reste attachée à une certaine vision qu'on en a. Au point que nos productions à nous autres venant de la périphérie ne sont jamais vues du point de vue du style, mais seulement du point de vue politique. La Nouvelle Chose française est la mise au point qui souligne qu'une littérature digne de ce nom s'écrit aussi en dehors de la France et en français.»

Quel est le thème de votre prochain essai ?
«L'exil, pour l'essentiel. D'ailleurs, il s'intitulera Naître en exil; c'est Victor Hugo qui en sera la figure centrale, car je fais de lui le saint patron des écrivains exilés. Et la littérature y est analysée comme un purgatoire, un lieu doux, un lieu pour se reposer de la dureté de la vie réelle, ainsi que des vapeurs du paradis dont nous ne saurons sans doute jamais rien.»
 
Quelle est votre relation à la langue française ?
«Des relations d'amour.»
 
Vous croyez en une «littérature décolonisée». Qui «ne cherche pas à opposer l'écrivain français et l'écrivain francophone». Pourquoi préférez-vous «la langue française» à la
francophonie?
«La langue francophone n'existe pas, voilà le problème! On est soit "écrivain de langue française", soit "écrivain d'expression française". La francophonie, comme je le montre dans La Nouvelle Chose française, est un concept de statistique conçu par un géographe en 1886, Onésime Reclus, pour compter les Arabes de l'Empire français d'Algérie. Il s'agissait pour lui de compter et non pas de parler, c'est-à-dire théoriser sur la littérature. D'ailleurs, il n'a pas commis une seule phrase sur le destin des sujets de l'Empire français en littérature, à l'image de l'abbé Grégoire, par exemple, auteur, lui, d'une splendide anthologie: De la littérature des nègres. C'était déjà en 1808. Que la reprise du concept de francophonie au XXe siècle ait donné lieu à des malentendus, passe encore. Son plus grand zélateur, à savoir le poète-président et académicien Léopold Sédar Senghor, précisait toujours que la francophonie était le rayonnement de la langue française hors de l'Hexagone. Il n'a jamais milité pour des écrivains francophones en tant que sous-catégorie de la littérature française. C'eût été invalider le magnifique parcours qui l'a mené jusqu'au Quai de Conti, pour siéger sous la coupole de l'Académie française, en tant que premier immortel africain de l'histoire postcoloniale.»
 
Vous affirmez que l'Africain écrit comme tout le monde. Mais vos thématiques sont bien celles de votre pays natal. Vos
romans évoquent principalement le Tchad durant la guerre civile des années 1979-1982, comme le cycle: Les jambes d'Alice, Le départ et Le Bal des princes.
«On est toujours d'un pays, peu importe la langue. Tolstoï n'a cessé d'être le grand Russe qu'il est à mes yeux et, pourtant, je ne l'ai jamais lu qu'en français, ainsi que la littérature la plus vaste du monde. On sait que même dans les mauvaises traductions, le sens et l'émotion passent toujours. Mes romans témoignent du Tchad parce que c'est mon vécu, j'y trouve la substance pour bâtir des fictions, tous les réseaux de sens qui m'aident à me bâtir un pays intime, que j'approfondis de livre en livre, et que j'espère habiter un jour comme une maison tendre et bien-aimée. Non, mes thèmes sont communs à la littérature du monde entier. La guerre, la faim, l'amour sont les fléaux et les passions des hommes. Ils n'ont rien de proprement tchadiens. On ne peut même pas me reprocher de prendre le Tchad pour cadre: il faut bien naître quelque part! C'est ainsi.»

* Nimrod signe « La Nouvelle Chose française » le samedi 30 octobre, à 18h00, au stand de la librairie Antoine.
Nimrod, en arabe (namroud), veut dire rebelle. Aucun prénom n'aurait pu mieux coller à la peau de l'indomptable auteur de La Nouvelle Chose française (aux éditions Actes Sud). Une collection d'essais où l'auteur s'interroge sur son «statut d'écrivain exilé» et où il tente de comprendre «ce dont il retourne quand...

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