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Liban - Interview

Mitri : Le ministre de l’Information n’a aucun pouvoir sur l’audiovisuel pour interdire les programmes sur les herbes médicinales

Cinq mois après la promulgation de la loi 90 qui interdit la publicité sur les herbes médicinales, certaines chaînes télévisées refusent de l'appliquer. Quelles sont les prérogatives du ministère de l'Information dans ce cadre ? Le point avec le ministre Tarek Mitri.

Tarek Mitri : je n’ai pas les moyens coercitifs pour appliquer la loi.

Cinq mois après la promulgation de la loi 90, qui stipule « que la commercialisation, l'exportation et la prescription des herbes médicinales à caractère thérapeutique est du seul ressort des pharmaciens » et qui interdit par la même occasion « l'information et la publicité au sujet des herbes médicinales et autres produits à caractère thérapeutique dans les télévisions, les radios et la presse écrite », les mentors de la médecine des herbes poursuivent leurs émissions sur plusieurs chaînes télévisées qui s'abstiennent d'appliquer ladite loi.
De prime abord, on pense que c'est le ministère de l'Information qui régit ces chaînes. Illusion. Le ministre de l'Information, Tarek Mitri, affirme d'emblée qu'il n'a aucune « prérogative » dans ce domaine.
Et c'est une amertume que laisse entrevoir l'interview accordée par M. Mitri à L'Orient-Le Jour, dans le cadre de laquelle il fait le point de la situation.
Retraçant les étapes qui ont abouti à l'approbation de la proposition de ladite loi, M. Mitri confie ainsi qu'il était « révolté » par ces programmes, mais qu'il n'a « jamais pris connaissance du problème dans ses détails et dans sa dimension juridique », jusqu'à ce que la loi 90 ait été votée par le Parlement. « Personne n'a pris la peine de m'en informer, déplore-t-il. Mais je m'en suis informé. » Il précise dans ce cadre qu'il a joint une lettre de l'ancien président de l'ordre des médecins, Georges Aftimos, à une autre qu'il avait lui-même écrite et adressée aux différentes radios et télévisions « pour les alerter ».
« Je savais qu'il s'agissait d'un coup d'épée dans l'eau, confie-t-il. Il reste que le ministre de l'Information essaie de stimuler la réflexion en participant aux colloques, en essayant de convaincre, etc. Certes, il ne s'agit pas du rôle d'un ministre, mais je n'ai pas les moyens coercitifs pour appliquer la loi. Et c'est un problème fondamental dans le pays. »
À ce handicap s'ajoute celui engendré par la création du Conseil national de l'audiovisuel (CNA), ce qui a réduit le rôle du ministre de l'Information « à une sorte de courroie de transmission entre l'organe consultatif qu'est le CNA et le Conseil des ministres qui est l'organe de décision ».

Déficiences au niveau de la loi
M. Mitri soulève par ailleurs plusieurs déficiences au niveau de la loi 90. Premièrement, ladite loi interdit la diffusion de ces programmes, mais « ne fait aucune mention des sanctions », fait-il ainsi remarquer. « Légiférer de cette manière, c'est insinuer qu'une loi n'est pas censée être appliquée, constate-t-il. Le deuxième problème, c'est que le ministre de l'Information ne peut pas sanctionner ni même proposer des sanctions. Il peut saisir le CNA qui, lui, propose des sanctions, qui restent toutefois symboliques, comme interdire la diffusion d'une chaîne durant une heure, à titre d'exemple. Les sanctions plus lourdes nécessitent une décision prise au Conseil des ministres, toujours sur proposition du CNA. »
M. Mitri explique dans ce cadre qu'il avait demandé au CNA de lui faire une pareille proposition, lequel CNA - qui a pour devoir, rappelons-le, de protéger le public de la désinformation - s'est montré défaitiste, prétextant que ces messieurs sont « très puissants » et qu'une proposition de sa part « ne va rien changer ». « J'ai tout de même insisté auprès de lui pour qu'il me fasse une proposition de sanctions, note M. Mitri. Entre-temps, j'ai fait mon travail de pasteur. J'ai interdit la diffusion d'un programme sur une quelconque crème sur Télé Liban. »
De son côté, et près de quatre mois après la promulgation de la loi, la Sûreté générale a envoyé une lettre sommant les télévisions et les radios « d'interrompre immédiatement les programmes », les informant par la même occasion que toutes les licences pour de tels programmes seront gelées. « Or les chaînes n'ont pas besoin de licences pour tous les programmes, fait remarquer M. Mitri. En tout cas, elles n'ont pas l'air de se soucier de cette lettre de la Sûreté générale, qui dit par ailleurs qu'elle a fait son devoir. » Et d'ajouter : « J'ai également adressé une lettre au service des contentieux au ministère de la Justice pour poursuivre ces chaînes. »
Le CNA propose finalement au ministre de l'Information de recourir aux sanctions par paliers et lui soumet une liste des produits à base d'herbes, ainsi que des radios et des chaînes qui en font la promotion. « J'ai décidé de le faire, même s'il ne s'agit que de sanctions symboliques, note M. Mitri. Mais j'ai tenu aussi à m'entretenir avec les responsables de ces chaînes et radios. » Nous ne saurons pas davantage sur les résultats de cette réunion, le ministre leur ayant promis de ne pas divulguer à la presse les résultats de l'entretien.

Chaînes illégales
La liste des obstacles qui empêchent l'application de la loi ne cessant de s'allonger, M. Mitri souligne que les dizaines de chaînes « illégales » qui « n'existent pas aux yeux de la loi » posent un autre problème. Pour diffuser, celles-ci se procurent une licence de SNJ ou de satellite uplinks directement du ministère des Télécommunications sans passer par le ministère de l'Information. « Comme les Libanais sont tous abonnés au câble, ils ont accès à ces chaînes, explique M. Mitri. Or techniquement, ces télévisions sont illégales aux yeux de la loi libanaise. Elles n'existent pas. Ce sont des télés panaméennes qui ne sont soumises à aucune loi, ce qui est une anomalie. » Et ce qui constitue une injustice, selon plusieurs sources du milieu, envers les chaînes locales, qui affirment d'ailleurs ne pas hésiter à transférer ces programmes sur leurs chaînes satellitaires.
C'est un tableau pessimiste que brosse le ministre de l'Information et qui renforce encore plus la conviction du citoyen libanais quant à l'incapacité de l'État à défendre ses droits les plus élémentaires, au nombre desquels figure son droit à une information juste et à la préservation de sa santé. Dans l'affaire des programmes sur les herbes médicinales, trois autres ministères sont concernés, ceux de la Santé, de l'Intérieur et de la Justice. À cette date, aucune de ces instances n'a pris une initiative pour contrer ces programmes, chacune d'entre elle jetant la balle dans le camp de l'autre. Entre-temps, le téléspectateur continue à s'abreuver de mensonges au nom de la science...
Cinq mois après la promulgation de la loi 90, qui stipule « que la commercialisation, l'exportation et la prescription des herbes médicinales à caractère thérapeutique est du seul ressort des pharmaciens » et qui interdit par la même occasion « l'information et la publicité au sujet des herbes médicinales et...
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