U-Boat, montre sacrée

« J'aime l'araignée et j'aime l'ortie parce qu'on les hait. » Ce n'est pas Mounir Moufarrije qui contredirait Victor Hugo. Ce vétéran de la mode, célèbre agitateur sans cesse en quête du coup qui fait le buzz, et qui jubile à la seule perspective des cris d'orfraie qu'il fera pousser dans la presse, parrain entre autres de l'initiative controversée de confier à la sulfureuse Lindsay Lohan la création d'une collection pour le très « plush » Ungaro, arpente le centre-ville en bermuda, bretelles, tee-shirt et Converse bariolés. Il surveille les travaux de la 15e boutique U-Boat qu'il vient d'ouvrir dans les souks de Beyrouth. Italo le rejoint, jeune, boucané, athlétique, aussi discret que Moufarrije est voyant.
Italo Fontana est le créateur de la U-Boat. Plongeur professionnel, ce Toscan pur jus est doublé d'un designer. Né dans la mode par ses parents, il a passé son adolescence à customiser des casques, à créer des accessoires de niche pour la boutique familiale, jusqu'au jour où il a découvert le trésor du grenier : son grand-père, ingénieur, avait reçu en 1942 une commande de la marine italienne pour une montre de plongée. Selon le cahier des charges, l'engin devait pouvoir s'enrouler à la cheville ou sur la manche d'un blouson, être lisible à 1m et résister à la pression en hautes profondeurs. La guerre est finie, la marine n'a jamais honoré son contrat, le grand-père est mort, mais les dessins sont restés. Une aubaine pour le petit-fils qui reprend ces planches, modernise le concept et lance quelques prototypes dans une boutique de Florence. Mounir Moufarrije passait par là...
La suite de l'histoire, c'est une collaboration des plus sérieuses entre un rêveur et un visionnaire qu'au départ tout sépare, à commencer par l'âge. Fontana dessine compulsivement son bijou d'homme XXL dont 50 % d'acquéreurs sont des femmes. À l'heure où tout donne l'heure, du téléphone à l'ordinateur, la montre a perdu son rôle fonctionnel. Par crainte de ne plus exister, voilà qu'elle sur-existe. Un message reçu 5/5 par ce designer qui fonctionne à l'instinct et qui a réussi à séduire les stars les plus en vue de la décennie, toutes générations confondues, des ados de Tokyo Hotel au vénérable et vénéré Giorgio Armani. « Nous n'offrons jamais la U-Boat, insiste Moufarrije. Nous la repérons dans certaines photos de stars et nous prenons contact avec les bureaux de presse qui nous cèdent ces portraits à condition de n'en faire qu'un usage limité. » Dans ce catalogue très privé figurent Albert de Monaco, Roger Moore, Kenzo Takada, mais aussi un fan absolu, Sylvester Stallone, qui s'est offert 5 U-Boat à LA et qui est venu en personne chez Italo pour une commande spéciale.
Décliné en 42 modèles et proposé dans 15 boutiques à travers le monde, l'objet est en passe de devenir un classique. La U-Boat a trouvé sa vitesse de croisière et les indicateurs affirment qu'elle est actuellement la montre la plus copiée au monde, rançon de son succès. Destiné à la plongée, le modèle de base résiste à 100 m de profondeur. Le plus élaboré va jusqu'à 1001 m. Demandez à Moufarrije le genre de test qu'a subi ce dernier. Il vous répondra, facétieux, que le plongeur devrait remonter...dans un mois ! Redoutable homme d'affaires malgré ses culottes courtes et son sourire malicieux, Moufarrije, lui, est en apnée dans l'enfance. Un univers dont il n'est pas près d'émerger !