Rechercher
Rechercher

Lifestyle - Hotte d'or

Mon Alphonse IV

Je ne sais plus comment j'ai quitté Porto. À reculons, sans doute. Pour boire jusqu'à la dernière goutte le sourire et les larmes d'Eusebio. Il m'a dit reste, mon amour un million de fois. Les Portugais sont certes de somptueux amants, mais leur sentimentalisme est surréel, à croire que leurs mamans les abreuvent de Barbara Cartland et de soaps mexicains dès leur naissance. Au biberon. J'arrivais à Cagliari en Sardaigne un dimanche après-midi, troisième étape de mon tour d'Europe qui en compte huit ; le voyage était épuisant, mais j'ai eu le temps de réfléchir et de prendre une décision : je ne sortirai de mon hôtel que pour aller à la plage. Pas de promenades (j'aurais pourtant adoré, comme à chaque visite, passer des heures dans l'amphithéâtre romain de la ville, l'un des plus beaux de la planète, ou à la Bastione di Saint Remy que je rêve de pouvoir un jour acheter pour en faire mon manoir privé), pas de musées, pas de bars, pas de rencontres fortuites dans quelque forteresse sublime, pas de sexe, pas de tournée des restaurants ; rien, rien qu'une cure de soleil et de sommeil. Ma peau hurle depuis longtemps. Et puis j'ai besoin de méditer : sur l'ingratitude humaine ; sur ces sublimes poulpes à l'ail et au citron qu'on dirait nés dans une cuve en platine de Veuve Clicquot rosé tellement leur mariage est divin ; sur le fait que j'aurais pu être la maîtresse préférée, voire l'épouse morganatique du bon roi Alphonse IV d'Aragon qui a construit en 1323 un sublimissime château fort que j'aurais bien aimé qu'il m'offrît, flanqué de quelques perles brutes. Oui, méditer sied à mon teint : même si je suis folle de ce troisième millénaire qui me comble à tous les niveaux, j'aurais dû naître dans quelque Moyen Âge brumeux, entourée de loups et de bûchers, j'aurais été une sorcière sarde, Cagliari aurait été mon royaume, les machos de Sardaigne auraient tué comme des bêtes sur un geste de moi, trois doigts sur leur biceps, une rétine sur leurs cuisses, un murmure à leur lobe. Oui, j'aurais voulu naître ici, à Cagliari, en 1311, fille de février, maîtresse de la Méditerranée, icône adorée, sublime Carabosse de cette île noire dont nous partageons presque le même ADN. Je m'égare un tantinet. La véranda de ma suite au cinquième étage du Forte Village Hotel Castello est noyée de lune. J'y sors, enveloppée dans mon peignoir noir Descamps, pour une fois, j'aimerais allumer une cigarette, inhaler un peu de cette nicotine dont je déteste l'odeur mais naturellement, je n'ai pas de cigarette et on n'en vend pas, à l'hôtel... Sapristi. Je mets un marcel Calvin Klein blanc sous une salopette Viktor & Rolf, des Havaianas blanches au pied et je sors dans la rue, à la recherche frénétique d'une urgente Marlboro - la dernière que j'ai fumée devait dater au moins de la Seconde Guerre mondiale. Je (me) promets que je ne suivrai pas l'homme qui m'en prêtera une, je le remercierai d'un sourire, retournerai dans ma chambre, et la dégusterai, la cigarette, en finissant mon jéroboam de champagne sous les étoiles de Cagliari, miam miam.

 

margueritek@live.com

Je ne sais plus comment j'ai quitté Porto. À reculons, sans doute. Pour boire jusqu'à la dernière goutte le sourire et les larmes d'Eusebio. Il m'a dit reste, mon amour un million de fois. Les Portugais sont certes de somptueux amants, mais leur sentimentalisme est surréel, à croire que leurs mamans les abreuvent de Barbara Cartland et de soaps...

commentaires (0)

Commentaires (0)

Retour en haut