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Moyen Orient et Monde - Reportage

À Jérusalem-Est, un tramway peu désiré

La construction d'un tramway suscite une polémique qui touche deux entreprises françaises.
« Moi je veux bien de ce tramway, mais il ne nous est pas destiné », dit Ashraf en sirotant un thé à la menthe à l'intérieur d'un café de Beit Hanina, un quartier palestinien de Jérusalem-Est. Pourtant, un des arrêts du tramway qui reliera l'est à l'ouest de la ville se trouve précisément devant l'établissement. « Oui, mais seuls trois arrêts (sur 23, NDLR) traversent des quartiers arabes. Tous les autres se trouvent dans des colonies ou à Jérusalem-Ouest », explique-t-il, avant d'ajouter : « Et puis regardez ce bazar, on ne peut plus circuler ici ! »
À Beit Hanina, la route reliant Jérusalem à Naplouse, au nord de la Cisjordanie, via Ramallah est totalement congestionnée. De chaque côté de la gare du tramway, les véhicules roulent sur une seule voie, alors que dans les colonies, à l'instar de Pisgat Ze'ev, une route à double voie rend la circulation beaucoup plus fluide.
Desservant quelques colonies de Jérusalem-Est et entraînant la destruction de certaines routes de cette partie de la ville, le tracé de ce tramway violerait la quatrième Convention de Genève qui stipule que « la puissance occupante ne pourra procéder (...) au transfert d'une partie de sa propre population civile dans le territoire occupé par elle ». La ligne, longue de 14 kilomètres, longera les murailles de la vieille ville de Jérusalem et desservira les portes de Jaffa et de Damas. Cette construction, dont le coût s'élèverait à plusieurs millions d'euros, a également été dénoncée par un rapport de l'Union européenne daté du 15 décembre 2008 selon lequel cette ligne de tramway ne serait qu'un moyen parmi d'autres de « poursuivre activement l'annexion illégale de Jérusalem-Est ». Plus de 200 000 colons, répartis dans une quinzaine de colonies, vivent à l'heure actuelle à Jérusalem-Est, presque autant que les 270 000 Palestiniens.
« En plus, il paraît que ce sont des Français qui le construisent ! » s'insurge Khulood qui, au volant de sa voiture, klaxonne à tout va. Les entreprises françaises, Alstom et Véolia Transport, possèdent à elles deux 25 % des parts du consortium franco-israélien City Pass en charge de la construction de ce serpent urbain. Par ce contrat signé en 2002, Alstom s'est vu confier la fabrication de voitures de type Citadis, la fourniture des éléments de signalisation, l'infrastructure et la maintenance du tramway. Véolia est en charge de l'exploitation pendant 30 ans du réseau de tramway.
Cette implication française n'est pas du goût de tout le monde. De nombreuses ONG palestiniennes déplorent cette participation synonyme, à leurs yeux, d'une reconnaissance de facto de l'annexion en 1967 par Israël de Jérusalem-Est. En conséquence, une vaste campagne de boycott a été lancée à l'encontre des deux compagnies qui ont subi des revers économiques. Alors que Véolia postulait pour le renouvellement d'un marché de quelque 3,5 milliards d'euros pour la gestion du métro de Stockholm, l'ONG suédoise Diakonia a entrepris une campagne de dénigrement à son encontre, lui faisant perdre ce marché. Le groupe Alstom a, lui, été exclu du fond de pension suédois AP7.
« Ces entreprises françaises violent le droit international et la convention de Genève, c'est pourquoi, depuis 2007, nous les traduisons en justice au côté de l'Association France-Palestine Solidarité (AFPS) », explique-t-on au cabinet du président de l'OLP, Mahmoud Abbas. Dans un communiqué, l'AFPS précise que ce consortium est également illicite « au regard du droit français (articles 6, 1131 et 1133 du code civil) qui décide qu'est dépourvue de tout effet toute convention dont la cause est contraire à l'ordre public ou aux bonnes mœurs ». Le 15 avril 2009, le tribunal de Nanterre, saisi par l'AFPS et l'OLP, s'est déclaré compétent pour juger l'affaire sur le fond. Une décision immédiatement contestée par Alstom qui a fait appel auprès de la cour de Versailles en novembre dernier. Le 4 février dernier, la cour d'appel de Versailles a estimé le tribunal de grande instance de Nanterre compétent. La date de la prochaine audience n'a pas encore été fixée.
Selon des informations de presse, Véolia tenterait aujourd'hui de revendre ses parts, mais cette information n'a pas été confirmée par l'intéressé. Alstom, pour sa part, campe sur ses positions, tout en regrettant que ce projet serve à « nourrir un combat politique ». Selon le constructeur français, « l'octroi d'une concession de construction ou d'exploitation d'un réseau de transport n'implique ni appropriation du site considéré ni exercice de droits souverains. Selon la jurisprudence internationale, l'accès aux services publics et aux infrastructures pour les populations est même un droit constamment réaffirmé ». « Remplacer un bus par un tramway n'est pas une arme de guerre, pas plus qu'il ne constitue un fait accompli politique », poursuit le service de communication d'Alstom. Dans la partie orientale de la Ville sainte, où le futur État palestinien veut faire sa capitale en cas d'accord de paix, les marteaux piqueurs redoublent d'intensité. Les premiers essais de rames sont prévus pour cette année.
« Moi je veux bien de ce tramway, mais il ne nous est pas destiné », dit Ashraf en sirotant un thé à la menthe à l'intérieur d'un café de Beit Hanina, un quartier palestinien de Jérusalem-Est. Pourtant, un des arrêts du tramway qui reliera l'est à l'ouest de la ville se trouve précisément devant...
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