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Moyen Orient et Monde - Le billet

Humaine fatalité

Il y a quelques années, dans les entrailles d'Haïti, les plus pauvres des pauvres mangeaient la terre. Littéralement. Dans des villages sans eau ni électricité, des mères ajoutaient des poignées de terre débarrassée des petits cailloux à de l'eau dans laquelle baignait parfois de la paille de mil pillée pour en faire une soupe.
Il y a quatre jours, la terre a mangé les Haïtiens.
Ce n'est pas la première fois que les habitants de cette île de misère posée sur une ligne de faille subissent le courroux de la nature. Sur les dix dernières années, toute une cohorte de fléaux ronflants et soufflants - Ivan, Jeanne, Denis, Wilma, Alpha, Fay, Gustav, Hanna et Ike - ont traversé l'île, laissant derrière eux une traînée de ruines et de cadavres.
Face aux ravages de la nature, ouragans et séismes, face aux bilans qui s'achèvent sur trop de zéros, l'on discerne une tendance à s'en remettre à la fatalité. Volonté divine, île maudite. Impuissance de l'homme face aux forces de la nature.
Mais si la nature a fait tant de ravages, l'homme lui avait trop souvent préparé le terrain. L'homme ravageant la terre d'abord. Il y a 500 ans, Haïti était couverte d'arbres. Aujourd'hui, il ne reste que 3 % de ces forêts. Une île sans arbres est comme une porte grande ouverte à tous les désastres.
L'homme ravageant l'homme, ensuite et surtout.
L'un des grands fléaux subis par l'île a, comme les ouragans, un prénom : Christophe. Mais ce fléau particulier est également doté d'un nom : Colomb. En découvrant l'île en 1492, l'explorateur signe l'arrêt de mort de la population indigène. Entre le travail forcé dans les mines d'or et les épidémies importées par les conquistadors, il ne faut que quelques décennies pour que le dernier représentant de la population indienne d'Hispaniola rende son dernier souffle. Bonne nouvelle pour l'occupant, la main-d'œuvre est facilement remplaçable. L'on importe des cargaisons d'esclaves achetés sur les rives de l'Afrique de l'Ouest.
En 1697, la partie occidentale de l'île passe sous souveraineté française. Les colons marqueront l'histoire de l'île par l'introduction des cultures industrielles, de café, d'indigo et de sucre notamment, et l'instauration d'une traite négrière d'une rare brutalité.
La révolte des Noirs débute un siècle plus tard. Elle s'achèvera en 1804 par la victoire des esclaves sur les troupes du premier consul Bonaparte. Onze ans plus tard, Charles X concède l'indépendance pleine et entière à l'ex-colonie. Mais l'indépendance a un prix, 150 millions de francs or pour dédommager les anciens colons. À peine née, Haïti est endettée.
Au cours des deux siècles suivant, l'île passe de dictature locale en occupation étrangère, en nouvelle dictature locale à la sauce Tontons macoutes, en transition démocratique qui capote et blocus international qui étouffe. Avec une constante, une pauvreté extrême. En Haïti, 78 % de la population vit sous le seuil de pauvreté de deux dollars par jour. 54 % de la population vit avec moins d'un dollar par jour.
Jeudi, le nuisible télévangéliste américain, Pat Robertson, expliquait, dans un de ces grands moments d'imbécillité que produit l'intégrisme cathodique à heure de grande écoute, que le séisme était la conséquence d'un « pacte avec le diable » passé par les Haïtiens pour se débarrasser des Français. Le diable serait donc, selon lui, derrière les malheurs de la perle des Antilles. Faut-il vraiment aller chercher si loin ?
Il y a quelques années, dans les entrailles d'Haïti, les plus pauvres des pauvres mangeaient la terre. Littéralement. Dans des villages sans eau ni électricité, des mères ajoutaient des poignées de terre débarrassée des petits cailloux à de l'eau dans laquelle baignait parfois de la paille de mil pillée pour en faire une...
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