La réalité est que jusqu'ici, certains alliés de la Syrie au Liban n'ont pas modifié leur comportement traditionnel. Ils continuent ainsi à établir une distinction entre Libanais, les divisant en deux fractions : l'une regroupant les « patriotes » et l'autre, parce qu'elle suit un chemin différent, se composant des « agents » travaillant pour l'étranger. Pour accepter de se réconcilier avec cette dernière fraction, il faut donc, aux yeux des amis de Damas, qu'elle change de politique et revienne à la « voie juste » comme l'ont fait d'autres forces au sein du 14 Mars.
De fait, dans la valse des réconciliations en cours depuis plusieurs mois, on a constaté que le processus s'est arrêté aux portes des réconciliations interchrétiennes. Cela est dû au fait que les alliés de la Syrie ont tout simplement empêché le parachèvement du processus, dans la mesure où ils ont estimé que leur camp était victorieux, que la Syrie est retournée sur la scène politique libanaise, et qu'il revient donc au camp adverse de se réformer.
Cette évolution, commencée avec l'accord de Doha, a été couronnée par les entraves que Damas a posées durant cinq mois à la formation du gouvernement libanais issu des élections de 2009, pourtant remportées par le 14 Mars.
Pour le moment, donc, le Liban et la Syrie sont en principe convenus d'établir des relations d'État à État et d'éviter l'erreur de favoriser des liens parallèles entre Damas et certaines parties libanaises parfois aux dépens de l'État libanais lui-même.
Mais, comme toujours, ce principe se heurte à une dure réalité. Des responsables syriens reconnaissent que des hommes politiques libanais continuent de se précipiter à Damas non point pour servir les intérêts du Liban, mais les leurs propres. Alors, se demandent ces responsables, que devrait faire la Syrie ? Devrait-elle cesser de les recevoir alors même que certains d'entre eux sont considérés par elle comme des amis ?
Cette situation n'est pas sans rappeler l'époque des débuts de la tutelle syrienne du Liban, lorsque le président Hafez el-Assad tenait ce langage devant un éminent ministre sous le mandat d'Élias Sarkis : « Contrairement à ce que certains pensent, lui disait-il, nous n'allons pas avaler le Liban. Simplement, nous misons sur le fait qu'une situation verra le jour au Liban poussant les Libanais à réclamer eux-mêmes la complémentarité avec la Syrie. De la sorte, nous aurons atteint notre objectif pacifiquement et par la volonté des Libanais. »
Ce même ministre avait entendu des propos plus explicites encore dans ce sens dans la bouche d'un autre haut responsable syrien de l'époque : « Damas exploite les failles qui existent entre les hommes politiques libanais pour pouvoir les tenir et exercer des pressions sur eux avant chaque échéance », reconnaissait-il. Ou encore : « La Syrie s'inquiète lorsqu'elle ne trouve pas dans le registre d'un homme politique libanais de "mauvaises choses". »
La question qui se pose aujourd'hui est de savoir si la Syrie continue d'avoir ce même comportement vis-à-vis du Liban et si, de leur côté, les Libanais sont actuellement disposés à se prêter à ce jeu.
En réalité, il sera impossible de dégager une volonté unanime au Liban dans ce sens tant qu'il restera des parties au sein du 14 Mars refusant de céder sur la question de la souveraineté et de l'indépendance de ce pays.
Pour le moment, ces parties continuent de s'opposer efficacement à un retour, même indirect, de la tutelle syrienne et c'est la raison pour laquelle elles subissent d'énormes pressions pour les amener à réviser leur position.
Ce sont précisément ces pressions qui ont empêché le parachèvement des réconciliations interchrétiennes, l'objectif recherché étant d'affaiblir et de marginaliser le plus possible les chrétiens du 14 Mars.