Rechercher
Rechercher

Nos Lecteurs ont la Parole

La dangereuse unité des chrétiens (II)

Par Amine ISSA
Au Liban, les chrétiens tiennent deux discours. Le premier qui est en relation avec ce qui précède est celui des chrétiens du 14 Mars. En gros, ils considèrent le patriarcat maronite comme l'ultime référant national et affirment se plier à ses décisions. Quelle que soit leur sincérité, il n'en reste pas moins que la religion est instrumentalisée pour légitimer le pouvoir de ceux qui affirment agir en harmonie avec les instructions de son plus haut représentant. Nous n'en sommes pas encore à un rétablissement du césaro-papisme et le patriarche n'a encore sacré aucun homme politique. Mais cela dénote un état d'esprit. Celui qui ne partage pas notre avis s'oppose au patriarche et donc à Dieu. L'on n'imagine pas le potentiel d'exclusion et de violence que cette attitude contient. Il est inutile ensuite de parler de fraternité chrétienne et de démocratie (voir L'Orient-Le Jour du mardi 5 janvier 2010).
La seconde forme que peut prendre l'adhésion de tous à un principe commun est, comme je l'indiquais, séculier. Ainsi, au lendemain de la Révolution française, il fut entendu que le prince ne gouvernerait plus que par procuration. Le peuple choisirait librement ses représentants et ceux-là assumeraient le pouvoir. Mais au nom de ce principe, les représentants du peuple en vinrent à éliminer toute forme de contestation. Quiconque s'opposait au prince s'opposait au peuple et il fallait le neutraliser. Ce fut la Terreur, un bain de sang que les rois les plus sanglants n'avaient pas provoqué. Le principe démocratique était perverti par la démocratie elle-même. Comment cela put-il se passer ? La réponse est simple. Au lieu de partir de l'individu comme principe premier et valeur intangible, qui s'associe librement avec d'autres individus pour édicter ensemble des lois qui les gouvernent sous la forme d'une communauté politique, on a fait passer la communauté politique avant l'individu. Cette logique a connu ses développements les plus extensifs avec les fascismes de droite et de gauche, le national-socialisme et le communisme.
Dans leur logique, les régimes personnifiaient la volonté des peuples, étaient issus de l'unanimité et étaient au service de l'ensemble, donc incontestables. Toute protestation était dirigée contre la volonté du peuple, pour les uns, les nationaux-socialistes, contre la communauté raciale et la supériorité du « Volk » (peuple) allemand, les autres, et les communistes, contre la classe ouvrière. On pouvait alors légitimement « éduquer, soit neutraliser » toute voix discordante. Ce qui fut fait au prix de dizaines de millions de morts tant en Allemagne qu'en URSS, en Chine et au Cambodge.
Fort de sa représentativité populaire, le général Aoun s'est prévalu de cette même logique il y a vingt ans, quand il disposait de moyens militaires, pour éliminer une milice certes devenue comme toutes les autres impopulaires, qui refusait de reconnaître sa seule autorité sur les régions chrétiennes. C'est en sa qualité de représentant des chrétiens qu'il signe un accord avec le représentant de la communauté chiite. Ce n'est pas le contenu de l'accord qui est critiquable que le statut que s'octroient ses deux signataires et l'injonction que fait le général aux autres chrétiens de s'y rallier du moment qu'il en est, lui, le promoteur. C'est la même logique d'intolérance qui prévaut dans son discours quand il traite ces adversaires chrétiens de noms d'oiseaux pour marquer leur insignifiance et de n'être que les faire-valoir du Courant du futur.
Les deux courants représentant les chrétiens confondent élection et démocratie. L'obtention d'une majorité de voix ne fait que renvoyer les perdants dans l'opposition ; elle ne signifie en aucune façon leurs ralliements aux vainqueurs. Aucun plébiscite, quelle que soit son ampleur, ne doit exclure l'alternance. La défense d'une communauté, d'une nation est d'abord le respect de l'individu dans sa différence, dans le respect de la loi et non pas par sa soumission à l'avis du plus grand nombre. C'est à cette seule condition que les individus se sentent libres, réfléchissent, s'instruisent, innovent et font avancer leurs sociétés. Les régimes qui ignorent encore cette évidence arrachée de longue lutte sont en faillite socialement et économiquement. Le miracle chinois devient un mirage pour les centaines de millions de paysans miséreux. La démocratie indienne est un échec pour l'égalité des droits face à la ségrégation que perpétue le système des castes. Le pétrole des monarchies, figé dans un système politique archaïque, s'épuisera avant qu'une économie indépendante des hydrocarbures ne puisse assurer la survie de ces pays. La « démocratie souveraine, entendre par ces mots l'autoritarisme du pouvoir, cher aux dirigeants russes, empêche cette immense nation de retrouver son rang. Les dernières élections en Bosnie-Herzégovine ont renouvelé le mandat des dirigeants qui se présentaient sur une plate-forme strictement communautaire, croate, bosniaque et musulmane. Ce pays ne vit que de trafic et des subsides de l'Europe.
Le jour où les chrétiens n'auront plus qu'un seul représentant, il faudra s'inquiéter pour leur avenir.
Au Liban, les chrétiens tiennent deux discours. Le premier qui est en relation avec ce qui précède est celui des chrétiens du 14 Mars. En gros, ils considèrent le patriarcat maronite comme l'ultime référant national et affirment se plier à ses décisions. Quelle que soit leur sincérité, il n'en reste pas moins...

commentaires (0)

Commentaires (0)

Retour en haut