Rechercher
Rechercher

20 après la chute du mur, Berlin au centre du monde - Interview

« La chute du mur a ébranlé les repères européens »

Catherine Perron, chargée de recherches au « CERI-Sciences Po », revient sur les conséquences, pour l'Allemagne et pour l'Europe, de la chute du mur de Berlin.

Q - Comment a été appréhendée, en Europe de l'Ouest et de l'Est, la chute du mur ?
R - « La chute du mur a ébranlé les repères des Européens, tant de l'Est que de l'Ouest. À l'Ouest, les populations s'étaient accommodées du mur, et on ne peut pas dire que la Communauté européenne de l'époque ait beaucoup fait pour provoquer le démantèlement du rideau de fer. Ensuite, les gouvernements ouest-européens, pris par surprise, ont tardé à prendre la mesure du phénomène. Il a fallu attendre 1993 pour que l'Union européenne reconnaisse explicitement que les pays est-européens libérés du joug soviétique avaient vocation à entrer dans l'UE.
De l'autre côté, les révolutions démocratiques se sont faites au nom du « retour à l'Europe », compris comme le retour à des valeurs qui étaient celles du monde occidental et dont les pays d'Europe centrale estimaient avoir été écartés contre leur gré. Toutefois, si ces pays considéraient avoir toujours fait partie de l'Europe, ce qu'ils entendaient par « Europe » était encore très flou d'un point de vue institutionnel, et l'Amérique restait la principale référence.
Ainsi, les retrouvailles en 2004 (date de l'adhésion officielle de huit pays d'Europe centrale et orientale à l'UE) ont été marquées par des sentiments mélangés de part et d'autre. »

Q - Quel a été l'impact de la chute du mur de Berlin sur la construction européenne ?
R - « Les élargissements à l'Est (2004 et 2007) ont modifié la morphologie de l'Union. À 27 membres, celle-ci est moins homogène que par le passé. Les dix pays post-communistes (des petits pays, à l'exception de la Pologne et de la Roumanie) ne représentent qu'un cinquième de la population européenne, mais leur intégration pose de grands problèmes de cohésion. Leur PIB par tête est en moyenne de moitié inférieur à celui des anciens pays membres. Pour certains, comme la Pologne ou la Roumanie, l'agriculture représente une part beaucoup plus importante de l'activité économique que dans les anciens pays membres, alors que l'industrie est souvent vétuste et les services inexistants. La mise en œuvre des politiques européennes s'en est trouvée complexifiée et il est devenu plus difficile de s'accorder sur des objectifs communs. »

Q - Existe-t-il encore un mur dans les esprits en Allemagne et, plus largement, à l'échelle européenne, entre Europe de l'Est et Europe de l'Ouest ?
R - « Oui et non. En ce qui concerne l'Allemagne, il existe encore des différences entre Est et Ouest, mais de là à parler de mur dans les esprits ! Comme dans la Bosnie des années 1980, les gens savent, sans le dire, qui vient de l'Est et qui vient de l'Ouest. Cela se repère aux accents par exemple. Ensuite, les paysages politiques sont différents : à l'Est, les néo-communistes obtiennent 20 % des voix et les sociaux-démocrates sont très faibles. Cela dit, la coupure Est-Ouest n'est qu'une ligne de partage parmi d'autres. Il existe également en Allemagne une forte différenciation Nord-Sud, catholiques-protestants...
Concernant l'Europe dans son ensemble, je dirais un peu la même chose. La diversité s'est accrue. Bien sûr, l'on trouve encore à l'Ouest des préjugés, liés à la peur, vis-à-vis des pays d'Europe centrale et orientale. Le désormais célèbre plombier polonais en est un exemple. Mais là aussi, les lignes de clivages sont multiples et ne passent pas toutes entre Est et Ouest. »

Q - Après la chute du mur, on a demandé aux anciens satellites de l'URSS d'évoluer rapidement, d'un point de vue économique, politique ou encore social. Le prix fut parfois lourd à payer. Y a-t-il eu des maladresses dans le processus de réunification et dans l'élargissement de l'Europe ?
R - « Dans le cas est-allemand, on peut véritablement dire qu'après l'unification, la population a été dépossédée de la maîtrise de la transformation. Les décisions ont effectivement été prises par le ministère de l'Économie et des Finances à Bonn où ne siégeaient que des Allemands de l'Ouest. Et le changement a été radical, tout comme la désindustrialisation qui a frappé le pays. Tout cela a créé un choc profond et a provoqué un sentiment de gâchis, malgré le soutien généreux des Länder de l'Ouest et une aide sociale qui a évité la paupérisation de la population est-allemande.
En ce qui concerne les pays d'Europe centrale et orientale candidats à l'entrée dans l'Union européenne, leurs populations souhaitaient des changements radicaux, notamment dans le domaine économique, avec la fin de l'étatisme, de la planification, du contrôle du parti unique sur l'ensemble de la vie sociale et économique. Et les gouvernements des pays d'Europe centrale ont agi de manière souveraine. Et si les négociations de la reprise de l'acquis communautaire au cours du processus d'élargissement étaient très déséquilibrées en faveur de Bruxelles, les gouvernements est-européens ont souvent utilisé les recommandations et pressions européennes pour adopter des réformes qu'ils considéraient indispensables pour moderniser leurs économies et leurs institutions. »

Q - Reste-t-il des frustrations de cette période post-chute du mur ?
R - « Oui, il reste des frustrations en Allemagne de l'Est, mais je ne pense pas qu'elles concernent la majorité de la population. L'unification a fait disparaître en une nuit tout un environnement institutionnel qui était familier aux Allemands de l'Est. Mais là n'était pas le principal problème. Il me semble que les frustrations viennent davantage du fait que les Allemands de l'Est ont eu le sentiment qu'avec la condamnation de la RDA et de son régime, c'est l'ensemble de leur vie passée qui était condamnée, dévalorisée. Et de fait, les Allemands de l'Ouest ont tendu à confondre les deux. »
Q - Comment a été appréhendée, en Europe de l'Ouest et de l'Est, la chute du mur ?R - « La chute du mur a ébranlé les repères des Européens, tant de l'Est que de l'Ouest. À l'Ouest, les populations s'étaient accommodées du mur, et on ne peut pas dire que la Communauté européenne...