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Culture - Correspondance - Fureur de lire

Des auteurs libanais s’expriment à Genève

Cinq jours durant, les Genevois ont pu tourner les pages d'auteurs et de livres venus des quatre coins de la planète, et présentant des expériences et des perspectives aussi variées que colorées. Pour son édition 2009, la Fureur de lire
(www.fureurdelire.ch), mise sur pied par la municipalité de Genève, a fait la part
belle aux auteurs libanais. Retour sur un sommaire alléchant.

«Nous sommes sensibles au monde arabe et, en l'occurrence, au Liban, qui ne sont pas loin de nous », commente Patrice Mugny, vice-maire en charge de la culture, qui est déjà à l'origine du très beau projet de Journées de la science sur l'hippodrome de Beyrouth, dont la prochaine édition aura lieu à la mi-octobre. « C'est un plaisir de pouvoir découvrir le monde depuis son canapé et c'est absolument magnifique de constater que les gens que l'on côtoie au quotidien sont des auteurs de renommée. »
Et pour ce zoom sur le Liban, Zeina Abi Rached, Thérèse Aouad Basbous, Abbas Beydoun, Yasmine Char, Hassan Daoud, Élias Khoury et Charif Majdalani ont fait le déplacement, sans oublier les Genevoises Marie Gaulis et Carina Roth qui ont toutes deux partagé leurs expériences libanaises dans des ouvrages riches en émotions.

Un quatuor pour la littérature libanaise en guerre
Abbas Beydoun, Hassan Daoud, Élias Khoury et Charif Majdalani ont présenté, en deux actes, la littérature libanaise. Le premier de ces actes s'est déroulé, à l'invitation de l'association Rencontres et cultures du monde arabe, à l'Université de Genève avec, pour toile de fond, la guerre, catalyseur de la renaissance littéraire.
Abbas Beydoun explique, par exemple, qu'il s'est arrêté quatre ans, après 1975, avant de pouvoir écrire un nouveau poème. Hassan Daoud parle, pour sa part, de « nostalgie », synonyme de « prospérité du roman libanais, car chacun pouvait décrire ce qui, désormais, manquait et ce qu'il vivait ». Parfois, « on me demande pourquoi je ne parle pas de la guerre dans mes ouvrages, mais la guerre est entrée en moi et je l'ai transposée dans mes sujets, même dans ceux qui ne l'abordent pas. Aujourd'hui, la nostalgie s'estompe. Elle fait place à la difficulté qu'il y a à comprendre le Liban. On ne sait plus où il va. » Pour Élias Khoury, la guerre est même « salutaire » dans certaines situations bien spécifiques. Tout en approuvant ses confrères, Charif Majdalani relève sa différence d'écrivain francophone d'après-guerre. Il souligne surtout cette vision fantasmée du Liban qui a tendance à occulter les guerres et leurs atrocités, comme il le raconte dans La grande maison, en se référant à la déportation de la population arménienne. Pour lui, le « roman qui précède la guerre est empreint de symbolisme et d'existentialisme. Tout à coup, on met les pendules à l'heure... et on a la possibilité de dire des choses terribles ».

Beyrouth, centre littéraire
La deuxième partie s'est déroulée au cœur même de la Fureur de lire et posait la question de la place du Liban dans la littérature arabe. Là aussi, le consensus régnait, après une belle introduction historique délivrée par Farouk Mardam-Bey. Historien et éditeur, ce dernier a rappelé la place qu'occupait Beyrouth, dès la seconde moitié du dix-neuvième siècle, comme havre pour toutes les formes d'expression littéraire qui y fleurissaient ou s'y rénovaient, notamment grâce à un libéralisme relatif par rapport au reste du Proche-Orient. La limite ? C'est qu'à force de « gommer certains thèmes, comme le communautarisme, on a donné une image de pays de cocagne, où tout allait bien. Du coup, les auteurs qui bravaient les interdits politiques, religieux, sexuels étaient propulsés au premier rang.
« C'était une grande erreur, commente Élias Khoury, car on effaçait ainsi la diversité et la réalité sociales du monde arabe, même s'il y avait une culture prédominante. » Abbas Beydoun, lui, explique que la poésie libanaise, sans pour autant être la meilleure, était « la plus osée et qu'elle a permis de casser le rythme unique d'une poésie arabe par trop transcendante et irréelle... Dans les années cinquante, le poète était considéré comme un prophète. Ma génération a rompu avec cette tendance ». Si Hassan Daoud tempère un peu le propos en mettant en exergue la place du Caire comme centre littéraire et fondateur du roman arabe, il ne conteste pas celle, bouillonnante, de Beyrouth dans les années 1950-1980, notamment grâce à des revues comme al-Adab ou ach-Cha'r.

Le français, langue choisie
Quant à Charif Majdalani, interrogé sur la littérature francophone au Liban et sur son appartenance à celle-ci ou à la littérature libanaise, il réagit immédiatement en disant qu'il aimerait « juste être considéré comme un écrivain », comme ses trois confrères pour lesquels la question ne se pose pas. « Lisez mon livre. S'il est bien écrit, situez-moi dans la littérature. » Et de rappeler que « le français au Liban est une langue choisie et pas imposée, puisqu'elle y est présente dès le début du XXe siècle ». Il ne s'agit pas « d'écrire comme un auteur francophone et de faire de l'autoexotisme pour répondre à des stéréotypes. Je me situe dans une littérature universelle ».

Théâtre et enquête
Autres invitées de la Fureur de lire, Thérèse Aouad Basbous et la Genevoise Marie Gaulis, venues croiser leurs regards sur leur jeunesse déchirée. La première utilise des phrases courtes, pleines d'images joyeuses, sensuelles et lumineuses pour raconter son enfance. Les décès de ses parents. « C'est ma musique, explique-t-elle. C'étaient des années violentes mais heureuses. »
Quant à Marie Gaulis, elle passe par l'enquête sur le terrain dans Lauriers amers pour repartir, en 1978, sur les traces de son père, alors délégué au CICR, tué dans sa voiture, sur les routes de Tyr, dans des conditions restées mystérieuses. La lenteur de son récit lui permet de « suspendre le temps, de repartir en arrière », de reconstituer les événements en entrant, par exemple, dans la « tête du tueur et dans celle de mon père ». Car la réalité est tout autre : « La tragédie, c'est la rapidité : en trente minutes, on a tiré sur mon père, il a été hospitalisé, il est décédé, et les preuves ont disparu. Il ne s'agit pas d'une tragédie grecque qui construit petit à petit la tension. » Ce n'est pas non plus « un roman policier, à la fin duquel le meurtrier est connu. Et j'accepte cette non-résolution ».

Dessins et diapositives
Autre moment, celui proposé par Yasmine Char, venue en voisine parler de son actualité et de ses projets. Sélectionné par deux prix régionaux, La main de Dieu va « sortir en folio début 2010. C'est très important pour moi parce que, alors que l'on dit qu'une publication "meurt" après six à douze mois, grâce à cela, il va renaître et circulera dans les écoles, les librairies, etc. Il y a aussi une traduction en arabe qui est prévue pour l'année prochaine ». Quant à son prochain roman, il s'intéressera à « un frère et une sœur émigrés - il est important qu'ils soient déracinés, du Liban, bien sûr - pour tenter de comprendre comment on peut s'aimer pendant vingt, trente ans et, tout d'un coup, ne plus se parler du tout (...) Après, les histoires de tabous, de féminisme, de voiles, ce sera fini ».
Dernier instant de bonheur dans cette envolée littéraire qu'est la Fureur de lire, la rencontre entre Zeina Abi Rached, invitée à animer plusieurs ateliers de dessin avec des enfants et jeunes adolescents de Genève, et Carina Roth, auteure du délicieux Saisons de Beyrouth, préfacé par Salah Stétié (voir notre édition du 23 septembre). Le temps de croiser les regards et de mener une discussion apaisante entre copines. Parmi les thèmes évoqués, la guerre, l'identité libanaise et leur travail d'auteur. Leurs visions de Beyrouth, de ses lignes, de ses fractures, de ses promesses.
Clairement, le cru 2009 de la Fureur de lire a été riche en émotions libanaises et littéraires. Une présence d'ailleurs appréciée par les curieux et amateurs de belles lettres. L'occasion de dévoiler un peu de la face cachée d'un pays à multiples facettes, avec ses contradictions et ses espoirs.

Cinq jours durant, les Genevois ont pu tourner les pages d'auteurs et de livres venus des quatre coins de la planète, et présentant des expériences et des perspectives aussi variées que colorées. Pour son édition 2009, la Fureur de lire (www.fureurdelire.ch), mise sur pied par la municipalité de Genève, a fait la part belle aux auteurs...
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