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Culture - Théâtre

Ces bonnes qui jouent à madame jusqu’à la mort…

Un festival Jean Genet à Beyrouth ? Et pourquoi pas ? Qui mieux que cet âpre défenseur de la liberté, cet amoureux des Palestiniens, ce farouche avocat de la négritude, cet inaliénable ami des Algériens sans le colonialisme français, ce courageux pourfendeur des tabous sexuels, cet amant éperdu du corps masculin pour faire rêver et réfléchir Beyrouth, ville de luxe et de pourriture, de beauté et de déchéance, de lumière et de poussière, d'apparence et d'hypocrisie, de connaissance et d'ignorance ?
Pour le premier soir de ce festival (jusqu'au 20 octobre), sur les planches du théâtre Babel (Hamra), Les bonnes de Jean Genet, sulfureux en 1947 lors de ses scandaleuses premières représentations, un classique de l'avant-garde dans le laxisme actuel. Une messe noire, un cérémonial, un théâtre dans le théâtre en langue arabe drue et gutturale (oui, se sont évaporés un peu la puissance, le raffinement, la musicalité racée, la perverse et lyrique délicatesse du verbe français de l'auteur des Paravents), troublant miroir aux reflets déformants que ces deux bonnes qui jouent à madame jusqu'à la mort...
Flamboyante et baroque mise en scène de Jawad el-Assadi (qui traite cette pièce, différemment, pour la quatrième fois), ardemment servie par un nouveau tandem de comédiennes de tonnerre : Carole Abboud et Nada Abou Farhat.
Sur fond d'infernale lumière rouge enfumée et sur ondes de musique tonitruante, deux louves déchaînées, attifées comme des travestis de madame Arthur, offrent la lascive vision de femmes offertes aux plaisirs avec talons aiguilles, jambes écartées, coups de rein électrisés et bustes aux seins dressés... Voilà des bonnes empruntant sans vergogne le masque de madame dans sa voluptueuse luxure ...
Madame partie pour prendre le train, Solange et Claire, les laissées-pour-compte entre évier et mansarde, jouent à huis clos la revanche de leurs rêves et leurs misères, leur frustration et leur humiliation. Sur cette scène faite d'une structure en fer, plateau noir penché avec ouverture comme caniveau ou soupente des « putrides » donnant sur l'univers des nantis, deux filles aux rapports ambiguës et ambivalents fabulent dangereusement.
Dans un langage oscillant entre poésie brûlante et verte scatologie, ces servantes, assoiffées de plaisir, de reconnaissance et de dignité, songent à tuer la maîtresse. Une maîtresse qu'on ne verra pas dans la flaque de lumière sauf en projection d'images où apparaît Renée Dick, fantomatique, sardonique et provocante, au crâne totalement rasé avec collier en perles au cou et visage au maquillage satanique, « méphistolesque »...
S'habiller, se parfumer, se chausser, se mouvoir, baiser comme madame semble l'enjeu de ces deux femmes à l'identité égarée et diffractée... Et brusquement, ce jeu aux confins du sadisme, à la fois libératoire et cruel, ce travestissement pathétique et risible, cette inversion des rôles de personnages socialement aliénés virent au drame, au rite sacrificiel. Une des bonnes consommera, dans un instant d'exaltation et de suicide, le champagne (et non la tasse de tilleul) empoisonné réservé à madame...
Jeu violent et démentiel des deux actrices qui dosent, comme une partition de musique maîtrisée, les éclats de la voix, la violence du geste et du corps. Un corps et une voix qui ont une audacieuse et saisissante liberté sur scène.
Optant pour un ton fort et hystérisé, Jawad el-Assadi, s'accordant avec doigté certaines libertés (le café Costa est suivi d'un sifflant et persiflant « koss emmou »)... donne, et à raison, une version corsée des Bonnes. Pour cette œuvre inspirée d'un fait divers Papin de deux sœurs criminelles, el-Assadi a dû sans nul doute se souvenir fort à propos des commentaires de l'auteur du Journal d'un voleur : « Il faut oser pour la mise en scène... Les bonnes peuvent bien certains soirs s'adonner à de tels jeux, qu'en savez-vous ? C'est un conte, un récit allégorique. »
Pour le premier soir de ce festival (jusqu'au 20 octobre), sur les planches du théâtre Babel (Hamra), Les bonnes de Jean Genet, sulfureux en 1947 lors de ses scandaleuses premières représentations, un classique de l'avant-garde dans le laxisme actuel. Une messe noire, un cérémonial, un théâtre dans le théâtre en langue...

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