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Culture - Rencontre

Carina Roth lit ses « Saisons de Beyrouth » à la librairie arabe de Genève

Quelques jours avant de souffler sa trentième bougie, « L'Olivier », la librairie arabe de Genève fondée par Alain Bittar, a accueilli, pour une lecture publique, Carina Roth, auteure de «Saisons de Beyrouth», paru cette année aux éditions L'Harmattan, « petit livre délicieux », selon Salah Stétié, qui en a signé la préface et l'a proposé pour le prix Phénix.
Rencontre avec cette professeure de japonais à l'Université de Genève, qui lève des voiles souvent surprenants, toujours bienveillants, d'un pays où elle s'est « tout de suite sentie à la maison ».
« J'aime son livre parce que ce n'en est pas un, je veux dire un livre en bonne et due forme, avec un début, un corps central et une fin », écrit Salah Stétié dans sa préface de Saisons de Beyrouth. « C'est une suite d'instantanés comme travail de photographe. On passe d'un sujet à l'autre, d'une situation à l'autre, d'un personnage à un autre personnage, d'une rencontre inattendue à une réflexion ou à un souvenir avec rapidité, avec sveltesse, en ne perdant aucune ligne du paysage ou du décor, aucun trait du portrait physique ou psychologique. Le zoom est toujours bien ajusté, l'œil de la spectatrice grand ouvert. »
Ce sont en effet des impressions, ramenées de trois séjours au Liban, entre 2001 et 2003, qui tissent ces Saisons de Beyrouth, pour brosser un portrait très imagé de la richesse et de la diversité de la terre libanaise, de ses habitants et de ses contours. Des restes de guerre aussi et de ces petites choses du quotidien de moins en moins perceptibles. Autant de situations souvent cocasses et détonantes pour un œil vierge.
« Je l'ai écrit en hiver 2003, avant de le retravailler en 2005, explique Carina Roth. À l'origine, je n'avais pas l'intention d'écrire un livre mais, à une période où je cherchais du travail, j'ai eu le temps nécessaire à disposition. C'est sorti comme ça. Je me sentais à ma place à ce moment-là. » Le regard aiguisé, précis, conquis, Carina Roth observe donc, en nouvelle venue, les reliefs du microcosme libanais. Parfois avec humour, mais toujours avec affection.
Depuis L'Olivier, ses yeux bleus lisent son Liban. Du Sud au Nord. En passant par la Békaa  : « Cette plaine est une large couverture confortable qui remonte les angles des collines, chatoyante et souveraine, si accueillante qu'on aimerait se glisser sous elle pour une sieste millénaire. »
Et sa lecture a de quoi éveiller la mélancolie des amis, des Libanais et des curieux venus l'écouter, elle qui rend l'expérience si vivante. Sa voix... ses mains vivent le Liban. Le traduisent. Tout un pays. Ses montagnes et ses traditions. La mer « qui nous frappe à hauteur d'yeux lorsque l'on descend de la montagne », bien plus forte qu'une ligne d'horizon depuis son rivage. La sarabande de Mercedes, de toutes époques, de toutes couleurs, de tous usages, qui fourmillent sur les routes.
Elle nous balade sur la Corniche, à Raouché, au milieu des pique-niqueurs, qu'elle décrit, avec les cortèges de barbes à papa roses, « les bouffées de musique qui sortent des voitures », les vendeurs ambulants jonglant avec quelques pamplemousses. La société libanaise, fragmentée, bariolée. Entière.
 
Traces de guerre
Poignante, elle témoigne encore de cette « mendiante vêtue de noir, qui traîne après elle, comme un sac de pommes de terre, un enfant aux jambes paralysées (...) Il se pousse et se hisse sur les mains, la suivant avec peine, protégeant ses poignets avec les manches trop longues d'un tee-shirt noir. Il a dans le corps une lassitude et un abandon infinis, une tristesse sans fadeur ni résignation, mais dont la fatigue est sans fond. La femme le montre, elle le tire d'un bras, il suit, encaisse la rugosité du goudron (...). Elle, elle ne cesse de chanter. Son chant est d'une beauté troublante, mais ses gestes sont sans amour. »
La distance s'estompe. Encore un peu plus. Carina est partie intégrante du tableau qu'elle dessine. Et ces dernières images choquent. Le temps de la lecture. Seulement. Le temps aussi de repenser aux traces de cette guerre « qui reste partout présente dans la ville et le paysage. Les maisons grêlées, innombrables, suffisent à la rappeler à tout instant. Pourtant, on les oublie. Cette géographie de passoire, si frappante les premiers jours, les premières semaines peut-être après l'arrivée, se dissout peu à peu. »

Un miroir pour le Phénix
Si Saisons de Beyrouth a été écrit au début des années 2000, aujourd'hui, « rien n'a vraiment changé », constate Salah Stétié. « Mais c'est aussi sans doute que sous le Liban, il y a l'autre Liban, l'éternel. » Cet optimisme se retrouve sous la plume de Carina Roth : « À l'angle face à Sodeco Square, il y a une maison très endommagée que les balles ont tant mitraillée qu'on croirait sa molasse érodée de mille ans de tempêtes. Un petit salon de coiffure a survécu, ou s'est installé, au rez-de-chaussée, et fait une proie de choix pour les amateurs de clichés attendus. Mais Beyrouth continue à vivre ses vies. »
Le plus frappant chez Carina Roth, c'est ce lien presque évident qui s'est établi avec le Liban. « C'est un pays où je me sens bien. La première fois que je suis allée au Liban, j'ai senti beaucoup d'affinités ; la deuxième fois, j'avais l'impression de rentrer chez moi. »
Comme un miroir, Saisons de Beyrouth réfléchit, sans jugement de valeur, une réalité qui, souvent, nous échappe. Mais poursuit ses circonvolutions. Impassible. Et il pourrait entamer un nouveau cycle à l'occasion de l'édition 2009 du Salon du livre qui dira s'il mérite le prix Phénix, comme souhaité par Salah Stétié. Quoiqu'il arrive, Saisons de Beyrouth permet certainement de retrouver, dans ses reflets, un peu de ces racines enfouies par le temps. 
Rencontre avec cette professeure de japonais à l'Université de Genève, qui lève des voiles souvent surprenants, toujours bienveillants, d'un pays où elle s'est « tout de suite sentie à la maison ».« J'aime son livre parce que ce n'en est pas un, je veux dire un livre en bonne et due forme, avec un début, un corps...
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