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Liban - 24 heures avec... une prof d’anglais au collège

Enseigner au Liban : concilier les défis d’une jeunesse avec ceux d’une nation

À l'heure où les élèves libanais commencent à reprendre le chemin de l'école, après les grandes vacances, voici le portrait d'une femme d'une quarantaine d'années, professeur d'anglais dans un lycée d'enseignement français et mère de famille. Elle raconte les difficultés qu'elle rencontre au jour le jour face à des adolescents désabusés, et l'espoir qu'elle retrouve chaque année de pouvoir peut-être faire la différence.

Carole aime son métier, mais son métier ne le lui rend pas toujours. À 40 ans, elle est professeur d'anglais dans un lycée d'enseignement français à Beyrouth, où elle a grandi et fondé une famille. Elle est mère de quatre enfants, et c'est pour eux qu'elle a choisi ce métier. « Si vous êtes prof dans un lycée privé, vos enfants peuvent y aller gratuitement. Et croyez-moi, ça vaut le coup », dit-elle.
Les écoles publiques n'ayant pas une bonne réputation, beaucoup de Libanais préfèrent que leurs enfants fréquentent un établissement privé qui corresponde au système éducatif français ou américain. C'est un luxe qu'il faut payer au prix fort : les prix varient entre 1 000 et 6 000 dollars par an pour les écoles les plus prestigieuses. Ceux qui n'ont pas les moyens de débourser une telle somme trouvent des solutions de secours, comme Carole.
« Grâce à ce système, explique-t-elle, j'économise une somme folle, que mon mari et moi aurions été obligés d'emprunter. Ça me permet aussi de déposer mes enfants tous les matins et de les récupérer l'après-midi. En plus, je peux surveiller ce qui se passe autour d'eux, à l'école, et ce n'est pas négligeable. »
Comme beaucoup de parents, elle ne fait pas complètement confiance à l'équipe qui entoure ses enfants. « Certains professeurs sont formidables, dit-elle, et d'autres sont incroyablement incapables de faire leur métier. Le problème, c'est qu'il n'y a aucune autorité nationale pour régler ce genre de problème. Il faut juste savoir choisir le bon établissement. »
Les écoles libanaises doivent ainsi faire valoir leur image de marque, qui n'est pas sans lien avec le prix de la scolarité, et avec la quantité de références qu'il faut faire valoir pour pouvoir y inscrire ses enfants. Carole s'estime heureuse d'avoir pu faire passer ses quatre enfants à travers le filtre, grâce à leurs bons résultats scolaires, et avec la recommandation d'un membre de sa famille ami du directeur. « C'est comme ça que ça marche, dit-elle, et tout le monde le sait. Cela ne surprendra personne ici. »
Sélection d'élite, donc, et professeurs d'élite ? Pas tout à fait. C'est un système tout aussi aléatoire et difficile à cerner qui gère la sélection et le traitement des enseignants dans certains établissements « haut de gamme ». Ancienneté, relations personnelles avec les parents d'élèves, avec les directeurs, difficulté de trouver des remplaçants : autant de critères qui déterminent la qualité du corps enseignant.

Des situations inégales
Plusieurs grands établissements ont réussi à mettre en place un système d'évaluation objective et des conditions de travail séduisantes, qui permettent d'assurer la présence de professeurs compétents et heureux à leurs postes. Ailleurs, l'équilibre est plus fragile, et des considérations financières ou matérielles l'emportent parfois sur la qualité de l'éducation.
« Certains de mes collègues ne répondent pas aux critères qui devraient être ceux de l'école où je travaille, dit Carole, mais ils restent à leurs postes parce que personne de mieux n'a envie de les remplacer dans les mêmes conditions. » Elle ajoute que, « par contre, rien ne garantit aux professeurs de qualité de rester longtemps à leur poste. Ils peuvent être évacués assez facilement pour des raisons de cuisine interne ».
Les conditions de travail de Carole sont satisfaisantes lorsqu'on les compare à celles d'autres professions, mais elles la laissent souvent déçue par le manque de reconnaissance qu'elle reçoit. « J'ai vingt heures de classe par semaine, plus la préparation des cours, la correction des contrôles et toutes les réunions. Vous imaginez la quantité de travail que ça fait ? Je suis payée 1 000 dollars par mois, et avec cinq ans d'ancienneté, c'est relativement un bon salaire. » Son grand avantage par rapport aux autres métiers qu'elle aurait pu exercer est de bénéficier d'un grand nombre de congés payés, qui correspondent évidemment à ceux de ses enfants.
Pendant l'année scolaire, elle se lève tous les matins à 5h30 pour se préparer et préparer ses enfants. Son mari, qui gère un commerce, participe à la tâche lorsqu'il ne doit pas aller travailler très tôt. Âgés de 7, 9 et 14 ans, les enfants doivent être douchés, habillés, nourris et leur sac à dos vérifié. Carole a à peine le temps de boire un café, et la troupe embarque dans la voiture pour traverser la ville. Après 30 ou 40 minutes d'embouteillages, les enfants peuvent rejoindre leurs salles de classe, et Carole ira donner son premier cours, ou attendre dans la « salle des profs » qu'il en soit l'heure, selon son emploi du temps.
« Je profite de mes moments libres à l'école pour préparer des cours ou corriger des copies, dit-elle. Ça me permet d'avoir plus de temps pour m'occuper de mes propres enfants à la maison. » D'année en année, elle reprend parfois les mêmes leçons et les mêmes textes, mais elle cherche toujours à innover : « C'est un vrai plaisir de chercher de nouvelles façons de faire découvrir la langue, raconte-t-elle. Le plus embêtant est de noter les contrôles. C'est répétitif et ça prend beaucoup de temps. Mais tout cela n'est rien face au cours lui-même. »
Face aux élèves, Carole est une autre personne. Elle se fait plus sévère et tente de dissimuler sa véritable personnalité derrière un masque de neutralité académique. « Évidemment, au bout de quelques mois ou de quelques années, les élèves me connaissent mieux et savent comment négocier avec moi, dit-elle en riant. Mais il est important, par principe, de garder une certaine distance. »
Les cours d'anglais, dans une école francophone, ont des enjeux paradoxaux pour les élèves. D'une part, l'anglais est une langue vivante parmi d'autres langues enseignées, et la note obtenue ne comptera pas pour beaucoup dans le résultat final. Cette matière est-elle pour autant négligée ? « Pas vraiment, répond Carole. L'importance de la langue anglaise dans le monde fait que beaucoup d'élèves veulent la maîtriser correctement pour leurs études ou leur carrière. Et je sais que certains d'entre eux sont frustrés et en veulent à leurs parents d'avoir choisi pour eux le français. Ils rattrapent le coup en travaillant bien dans mes cours. »

Un reflet de la société
Cependant, le petit nombre d'heures accordé à l'anglais dans la semaine d'un collégien ainsi que la façon ludique dont cette langue est traditionnellement enseignée dans les écoles françaises font des cours de Carole un moment de détente pour les élèves.
Elle précise : « Je dirais surtout que c'est un moment de dialogue. Il s'agit d'apprendre à parler une langue, n'est-ce pas ? Le meilleur moyen de le faire est de parler, bien sûr. » C'est pour l'enseignante la meilleure façon de découvrir ce qui se dit, dans les familles, sur les différents problèmes qui agitent le pays depuis des années : « En quatre ou cinq ans, il s'en est passé des choses. Des morts, des manifestations, des élections, d'autres morts, d'autres élections. J'entends les adolescents en parler et ça me donne une toute nouvelle perspective. »
Il s'agit surtout d'élèves issus de familles aisées, et c'est donc une partie seulement de la jeunesse libanaise qui est reflétée. Mais Carole retrouve dans leurs débats - où se mélangent français, arabe et balbutiements d'anglais - les mêmes rêves qu'ailleurs. Les élèves sont conscients des impasses dans lesquelles s'engage leur société, mais ils continuent de parler de démocratie et d'une nouvelle génération qui remplacera celle qui a fait la guerre.
« Je ne me fais pas d'illusions, dit Carole, mais je me surprends parfois à y croire. Je pense que mon métier fait de moi une personne très optimiste ! » Comme tout professeur, elle est confrontée aux mêmes problèmes de discipline qu'ailleurs. Elle dit avoir remarqué une augmentation de la violence avec laquelle les jeunes gèrent leurs problèmes, que ce soit par la parole ou par le geste. Mais elle pense qu'il y a une solution.
« Il faut que l'école reste un milieu hyperprotégé, où la violence est très sévèrement punie et reste à la porte. C'est le seul moyen de faire comprendre aux jeunes que cette violence n'est pas la réponse à leurs problèmes et qu'il est possible d'appliquer le modèle de l'école à leur vie d'adulte, plus tard. C'est un travail de groupe qu'il faut que nous rendions possible, tous ensemble, à l'école. »
À l'heure où les élèves libanais commencent à reprendre le chemin de l'école, après les grandes vacances, voici le portrait d'une femme d'une quarantaine d'années, professeur d'anglais dans un lycée d'enseignement français et mère de famille. Elle raconte les difficultés qu'elle rencontre au jour le...

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