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Culture - Baalbeck

« La Traviata » de Verdi, une « dévoyée » toujours aux premières loges…

Près de quatre mille personnes pour applaudir « La Traviata » de Giuseppe Verdi, présentée par les Chorégies d'Orange, pour la clôture du festival. Passion dévorante, mise en scène brillante et voix sublimes pour une « dévoyée » toujours aux premières loges et dont l'histoire et le chant sont une inépuisable source d'émotion...
La foule se presse en grappes compactes et désordonnées jusqu'aux derniers gradins effleurant presque les colonnes du temple de Jupiter, se profilant déjà sur le fond d'une nuit au noir de velours. De l'autre côté de ce vaste espace en plein air, une immense aire scénique s'adosse au péristyle du temple de Bacchus.
Par-delà un double plan avec mandala couvert de lierre, un parapet en fer forgé noir et quatre luminaires à colliers de cristal, un gigantesque lustre aux pendeloques scintillantes annonce un intérieur bourgeois qui ne badine pas avec les règles de la morale et de la respectabilité...
Comme un soupir étouffé, premières mesures de l'Orchestre de l'Opéra royal de Wallonie, placé sous la houlette de maestro Paolo Arrivabeni, pour marquer l'atmosphère vénéneuse de la vie de cette demi-mondaine, de cette pécheresse de courtisane de luxe que l'amour surprendra et lui coûtera, en guise de rédemption, la vie...
Sur une scène encore plongée dans la pénombre arrive, au rythme d'une musique lancinante et crépusculaire, une table oblongue à la nappe blanche tirée comme un corbillard. Un corbillard à ciel ouvert où s'allonge Violetta, héroïne romantique par excellence, amoureuse transie et phtisique condamnée... Sa pose d'odalisque endormie n'est que le double symbole de la luxure et de la mort...Le ton est déjà donné.
Et brusquement, une joyeuse farandole d'impénitents noceurs insouciants, frivoles et légers, campés par les chœurs de l'Opéra de Toulon Provence-Méditerranée, de l'Opéra de Tours et de l'Opéra royal de Wallonie, ainsi que du Ballet de l'Opéra-Théâtre d'Avignon et des Pays de Vaucluse, assaille l'immense flaque de lumière. La fête commence.
Et c'est là que Cupidon, dégainant ses fléchettes acérées, va frapper fort et droit les cœurs de Violetta et d'Alfredo, qui auront à affronter les normes retorses et âpres d'une bourgeoisie aux règles de morale et de respectabilité sans merci...
Qu'en est-il aujourd'hui de ce drame d'amour où passion, intérêts d'argent, de classe et d'hostilité bourgeoise dressent des barrières si infranchissables ? Dans une époque laxiste comme la nôtre, il y a aujourd'hui des arrangements surprenants...
Mais pour ce XIXe siècle encore engoncé dans des valeurs suramidonnées, Violetta sera la victime de ses sentiments. Pour le contrat d'entente transigé par le père de son amant, Violetta, femme libre avant le temps, renonce à un amour vital dont le retrait fera d'ailleurs le désespoir et l'affolement d'Alfredo...
Pour cette liaison dangereuse, orageuse et dramatique, Verdi clôture sa belle trilogie d'opus lyrique (Rigoletto et le Trouvère), la plus populaire, la plus aimée et la plus applaudie.
Avec des mélodies envoûtantes, des arias plus caressantes que des cantilènes, des duos d'une détonante charge émotive, la présence des chœurs (superbes, ces moments de fête ou de carnaval où la musique est pure féerie), une trame au souffle prenant jusqu'à ce poignant dénouement par la mort, La Traviata reste un des opus les plus achevés du maître de Roncole.
On salue bien bas ici cette production sans faille, d'une extrême élégance et d'une souveraine habileté scénique (admirable alliance du décor, de l'éclairage et des costumes) des Chorégies d'Orange, qui bénéficie aussi de l'écrin d'une écrasante majesté et grandeur de la Cité du soleil.
On peu chicaner sur certaines sonorités dispersées par le vent et amorties par l'espace, mais même les voix, en ces lieux, ont une résonance et une ampleur particulières...
Le couple phare de Violetta et Alfredo est pour beaucoup dans cette réussite. Car, en plus d'une voix ductile et nuancée pour la soprano Ermonela Jaho (applaudie déjà plus d'une fois au Festival al-Bustan, oui Myrna Boustany a du flair...) et les accents vibrants, même dans les plus crues des colères blanches du séduisant ténor Vittorio Grigolo (à 32 ans déjà, véritable coqueluche de la scène lyrique), les deux chanteurs savent aussi être d'excellents acteurs. Ce qui est essentiel à ce troublant rêve d'amour où le verbe, les notes, les mesures, les cadences, les gestes et les situations ne parlent que des cris, des révoltes, des brimades, des désirs, des soupirs et des intermittences du cœur...
Pour cette œuvre, qui fut contestée lors de sa création au Teatro La Fenice en 1853 et qui a donné l'occasion de s'illustrer, entre autres, à Maria Callas, Joan Sutherland, Renata Tebaldi et Mirella Freni, voilà qu'aujourd'hui elle triomphe partout où elle passe. Baalbeck était un passage obligé et c'est avec plaisir et contentement qu'on réalise que plus de quatre mille belcantistes ont applaudi, debout, cette performance où l'amour des dieux et ceux des hommes se sont rejoints sur fond d'une musique verdienne à l'infinie noblesse...
À l'ombre des souffrances humaines et devant la beauté de l'art qui transcende tous les échecs et toutes les déconvenues, revient naturellement le commentaire de Tommaso Locatello qui avait pris la défense de Verdi lors de son combat avec le public et la presse en 1853 : « Celui dont les yeux restent secs devant cela n'a pas un cœur humain... »

La foule se presse en grappes compactes et désordonnées jusqu'aux derniers gradins effleurant presque les colonnes du temple de Jupiter, se profilant déjà sur le fond d'une nuit au noir de velours. De l'autre côté de ce vaste espace en plein air, une immense aire scénique s'adosse au péristyle du temple de Bacchus.Par-delà...

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